La nuit, polluée par l’éclairage ? Cette idée est récente. Auparavant, on n’avait pas conscience que l’obscurité nocturne est une ressource précieuse, au même titre que le calme ou l’accès à de l’eau non polluée… Sans compter la pollution liée aux ampoules, l’électricité nécessaire à l’éclairage… Donc oui, l’éclairage contribue à la diversité des pollutions…
Pour commencer, quelques chiffres sur l’éclairage issus d’un article de l’ADEME datant de novembre 2021 et d’un autre article de mars 2022.
- En France, l’éclairage consomme 49 TWh par an.
- Hors éclairage public, l’éclairage représente 10% des consommations annuelles d’électricité en France. 6 TWh pour les bureaux par exemple.
Dans le début de cet article, je vais parler de toute la dimension « consommation électrique », qu’il est nécessaire de réduire. Diminuer l’éclairage en est un moyen. Mais diminuer l’éclairage, en particulier l’éclairage extérieur, est essentiel, car il est urgent de s’attaquer à la pollution lumineuse.
En regardant les images et les vidéos de la Station spatiale internationale de l’hémisphère nocturne de la Terre, les gens ne sont généralement frappés que par la « beauté » des lumières de la ville, comme s’il s’agissait de lumières sur un sapin de Noël. Ils ne perçoivent pas que ce sont des images de pollution. C’est comme admirer la beauté des couleurs de l’arc-en-ciel que l’essence produit dans l’eau et ne pas reconnaître qu’il s’agit d’une pollution chimique. La prise de conscience doit fortement augmenter pour que la lumière artificielle la nuit soit perçue non pas comme une chose toujours positive, mais comme le polluant qu’elle est réellement.
La pollution lumineuse monte en flèche, F. Falchi & S. Bará, Science
19 Janvier 2023 (article)
TWh ?
TWh ? des térawattheure. 1 TWh = 1.000 GWh (gigawattheure) = 1.000.000 MWh (mégawattheure).
Pour se représenter cette quantité d’électricité nécessaire pour notre éclairage, voyons ce que peut produire une centrale hydro-électrique.
Centrale hydro-électrique
En Haute-Loire, un barrage vient d’être rénové pour concilier production d’électricité et environnement. En effet, le nouveau barrage de Poutès a été conçu pour laisser un libre passage aux poissons migrateurs. Ainsi, les saumons de l’Allier peuvent librement franchir le Nouveau Poutès depuis le 29 septembre 2021. Ce chantier pilote en Europe vise à préserver la faune emblématique des gorges de l’Allier ainsi que les zones humides (site du nouveau Poutès).
On voit dans la vidéo que, pour préserver la reproduction des saumons, le barrage ne peut alimenter la centrale de Monistrol-d’Allier que 9 mois par an. Cette centrale avec ses 5 turbines dispose d’une puissance installée de 36,9 MW (source). C’est l’énergie maximale que l’installation peut produire à chaque instant. Le MWh exprime la quantité d’énergie qu’elle produit pendant un temps défini (produit de la puissance par le temps en heure). Par exemple si la centrale tourne à plein régime 9 mois = 6.570 heures par an, elle produit 6.570 x 36,9 = 242.433 MWh dans l’année, 0,24 TWh… Plus de 200 centrales seraient alors nécessaires uniquement pour nous éclairer, 2 à 3 dans chaque département. Voire beaucoup plus si la sécheresse abaisse le débit d’eau disponible pour produire de l’électricité…
Peut-on faire mieux grâce à l’énergie solaire ?
Parc photovoltaïque
La Clé des champs à Saint-Christophe-sur-Dolaizon est le plus grand parc photovoltaïque de Haute-Loire. Opérationnel depuis octobre 2022, ses 28.000 panneaux produits aux États-Unis ont la capacité de s’orienter pour suivre le soleil d’Est en Ouest. On est donc ici sur une grande installation, la plus performante possible. Sa puissance ? 12,5 MWc (source).
Le MWc (mégawatt crête) est la puissance maximale de l’installation. On sait tous que le parc photovoltaïque ne peut produire de l’électricité que le jour. Son fonctionnement dépend de l’ensoleillement, mais aussi de la température. En 2015, 1 MW installé a en moyenne produit 1.319 MWh selon RTE. La clé des champs aurait alors produit 12,5 x 1.319 = 16.487,5 MWh. 0,016 TWh.
Il faudrait plus de 3.000 parcs semblables pour notre éclairage ! Et… avec un bon système de stockage de l’énergie. En effet, les panneaux produisent bien le jour, mais c’est quand il fait nuit qu’on s’éclaire le plus… Croyez-vous que ce soit sans impact sur l’environnement ?
Parc éolien
Restons avec des exemples présents en Haute-Loire. Le parc éolien d’Ally-Mercoeur a ouvert ses portes en 2005, avec 26 éoliennes de 120 m de haut et d’une puissance de 1,5 MW chacune. Lors de son ouverture, c’était le plus grand parc éolien de France. (source).
En 2015, 1 MW installé a produit en moyenne 2.129 MWh selon RTE. Donc, pour le parc éolien d’Ally-Mercoeur, 26 x 1,5 x 2.129 = 83.031 MWh, soit 0,083 TWh. Nous éclairer supposerait environ 600 parcs éoliens de cette dimension répartis sur l’ensemble de la métropole… Vu les débats autour de l’implantation de chaque éolienne…
Centrale nucléaire
Les 18 centrales nucléaires françaises regroupent un total de 56 réacteurs. 32 produisent chacun une puissance électrique de 900 MWe, 20 réacteurs produisent 1.300 MWe, et 4 délivrent 1.450 MWe. (source). MWe : mégawatt électrique, la puissance électrique qui peut être produite si le réacteur fonctionne au maximum… Une importante partie du parc nucléaire a été à l’arrêt en 2022 pour des travaux de maintenance sur les réacteurs. Si on suit les actualités, par exemple sur BFM, on apprend qu’au 26 décembre 2022, 13 réacteurs sont encore à l’arrêt.
D’après EDF, un réacteur de 900 MW produit en moyenne chaque mois 500.000 MWh, soit 6 TWh par an. Un réacteur pour éclairer les bureaux, un peu plus de 8 pour l’ensemble de l’éclairage. L’électricité d’origine nucléaire est certes une énergie décarbonée, qui n’aggrave pas le dérèglement climatique, puisqu’il n’y a aucune émission de gaz à effet de serre. Mais c’est une industrie qui génère notamment des déchets nucléaires…
Que ce soit pour des questions économiques ou écologiques, il est souhaitable de diminuer notre consommation d’électricité. Agir sur le poste « éclairage » est un levier possible.
Privilégier la lumière naturelle
Pour diminuer notre consommation, on peut privilégier la lumière naturelle.
En France, c’est réglementé pour les nouvelles constructions. Vous pouvez consulter l’article 23 de l’Arrêté du 4 août 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiment en France métropolitaine. Il stipule que chaque logement doit présenter « un niveau d’éclairement d’au moins 300 lx sur 50 % des locaux, à l’exception des locaux à occupation passagère, dans plus de la moitié des heures éclairées par la lumière du jour dans l’année ». Et « un niveau d’éclairement d’au moins 100 lx sur 95 % des locaux, à l’exception des locaux à occupation passagère, dans plus de la moitié des heures éclairées par la lumière du jour dans l’année ».
Dans les bâtiments existants, on peut par exemple disposer la table de travail près de la fenêtre pour bénéficier au maximum de la lumière naturelle. Parmi les travaux à moindre coût, privilégier les couleurs claires pour le plafond, les murs et le mobilier permet d’être dans une pièce plus claire. Pour des travaux de rénovation, je trouve très intéressant le principe des puits de lumière.
Des choix pour l’éclairage artificiel
Le choix des ampoules est également important.
- Depuis le 1er janvier 2013, les ampoules à incandescence ne sont plus disponibles sur le marché. En cause, leur grande consommation d’énergie.
- Depuis le 1er septembre 2018, les magasins ont pu finir d’écouler leurs stocks d’ampoules halogènes, mais n’ont pas pu les renouveler pour continuer à en vendre. Pour la même raison. En effet, les ampoules halogènes consacrent 90 à 95% d’énergie à la transformation de chaleur et non à la production de lumière.
Désormais, si on va au rayon des ampoules, on a le choix entre LED, ampoules fluocompactes, tubes LED et fluorescents. Mais aussi ces mêmes ampoules avec des options technologiques ou décoratives : ampoules connectées et ampoules à filament décoratives.
On lit souvent de grandes louanges à propos des LED. Jusqu’à 90 % d’économie d’énergie par rapport à une ampoule à incandescence. La durée de vie annoncée défie aussi toute concurrence, plusieurs années, entre 15 et 20 ans peut-on même parfois lire. L’ampoule LED est-elle effectivement 100% vertueuse ?
Caractériser un éclairage
Le lumen (lm) mesure le flux lumineux : la quantité totale de rayonnement visible émis par seconde par une ampoule ou une lampe.
Le lux (lx) mesure l’éclairement lumineux : le flux lumineux reçu par une surface.
Imaginons un spot émettant 100 lumens éclairant une surface de 1 m2 : la lumière reçue sera alors de 100 lux. Mais s’il s’agit d’un plafonnier de 100 lumens éclairant une pièce de 10 m2, la lumière reçue sera alors de 10 lux.
D’après les normes en vigueur, il faut prévoir sur les lieux de travail et lieux recevant du public, 100 lux dans les couloirs, 150 lux dans les escaliers, 500 dans les salles de réunion.
Consommation électrique
On mesure la lumière diffusée par une lampe en lumen : lm. Sa consommation électrique se mesure quant à elle en Watts : W. Le rapport entre les deux caractérise l’efficacité lumineuse d’une lampe. Ce rapport est utilisé pour classer les ampoules dans différentes catégories énergétiques. Assurément, de ce point de vue, les ampoules LED sont effectivement vraiment très intéressantes. Mais… si c’est important, est-ce le seul critère à regarder ?
Composition des ampoules
Les ampoules fluocompactes
Les ampoules fluocompactes utilisent la même technologie que les tubes fluorescents, ou « néons », en version miniaturisée. Le tube est rendu compact. Ces ampoules, comme les tubes fluorescents, renferment un mélange de vapeurs de mercure et de gaz inerte. Le champ électrique créé émet un rayonnement ultraviolet transformé en lumière visible par une poudre électroluminescente. Cela prend un certain temps, d’où le délai observé avant que l’éclairage ne soit à son maximum.
Attention en cas de casse du fait de la présence de mercure, toxique. Bien aérer la pièce et ramasser les morceaux cassés avec un balai et non un aspirateur, on risquerait sinon de vaporiser du mercure sur une moquette ou un tapis.
Une fois l’ampoule en fin de vie, il est important de bien les apporter dans un bac de recyclage des ampoules. D’une part pour ne pas polluer l’environnement avec les substances toxiques qu’elles contiennent. Mais aussi pour recycler 90 à 95% du contenu des ampoules fluocompactes :
- Le verre
- Les métaux
- Les poudres fluorescentes (elles contiennent des terres rares qui intéressent les industriels de l’électronique, de l’automobile ou du secteur médical.)
- Le plastique. Je vous renvoie à mon article sur la pollution plastique…
Les faibles quantités de mercure ne sont pas recyclables (0,005% de chaque ampoule). Il est neutralisé et stocké dans des installations spécialisées.
En résumé, les ampoules fluocompactes et les tubes néons consomment moins que les ampoules à incandescence. Mais :
- Leur consommation n’est pas négligeable pour autant
- Ils contiennent du mercure, substance hautement toxique. Même si c’est en très petite quantité.
- Ils émettent des UV, dangereux pour la peau – source de cancer.
Les LEDS
La conception des LEDS est beaucoup plus complexe. LED est l’acronyme de Light emitting diode. Diode émettrice de lumière. Une diode (du grec di deux, et odos chemin) est un composant électronique qui a deux pôles et où l’électricité circule dans un sens. Chaque LED émet peu de lumière. Pour constituer un éclairage, il faut en associer un certain nombre. Elles sont soudées sur un circuit imprimé qui fonctionne grâce à une carte électronique.
Lors du recyclage, les industriels savent séparer le verre du système optique du plastique et du métal du culot et du corps de l’ampoule. Le challenge (à l’étude) consiste à isoler les puces électroniques du circuit imprimé. C’est important car ces puces renferment des métaux stratégiques : or, argent, cuivre, bismuth, étain, terres rares… dont les quantités sont limitées, et l’extraction polluante et pas toujours éthique.
Jusqu’ici, on était dans la « logique 2022 » de « sobriété énergétique ». La suite de l’article va aborder la dimension sanitaire et environnementale : la lumière comme source de pollution.
L’éclairage, source de pollution !
Petite vidéo expliquant très bien que l’éclairage peut être une forme de pollution.
Une étude publiée en janvier 2023 dans la revue Science assure que la pollution lumineuse augmente toujours. Elle perturbe le travail des astronomes et a des effets négatifs sur la biodiversité.
- Les satellites prennent des clichés de nuit, montrant l’éclairage important dans les pays « développés ». Mais ils n’observent qu’une faible croissance de la pollution lumineuse. En effet, leurs détecteurs sont aveugles à la lumière bleue des leds, qui remplacent progressivement les anciennes lampes.
- Mais si on se base sur des dizaines de milliers d’observations des étoiles depuis la Terre entre 2011 et 2022, on trouve une augmentation de la luminosité du ciel due à l’éclairage artificiel de 10% par an, un doublement de la pollution lumineuse en 8 ans….
Impact sanitaire de l’éclairage LED
L’ANSES a mis en garde, dès 2010, des risques sanitaires liés à la forte proportion de lumière bleue émise par les éclairages à LED de couleur blanc froid et bleu. Cette lumière bleue est en effet nocive pour la rétine et elle perturbe les rythmes biologiques.
Les LED, toxiques pour la rétine
Les enfants naissent avec un cristallin clair, laissant passer toute la lumière bleue : ce sont donc eux qui courent le plus de risques de voir moins bien du fait d’une atteinte de la rétine. Et ce, de façon irréversible. La lumière bleue pourrait avoir un impact sur la survenue d’une DMLA, d’une myopie, d’un syndrome de sécheresse oculaire.
Un éclairage qui perturbe les rythmes biologiques
La rétine contient, outre les cônes et bâtonnets permettant la vision, des cellules ganglionnaires à mélanopsine (CGM). Ces CGM réagissent à la lumière bleue en envoyant des messages nerveux vers une zone du cerveau (noyaux suprachiasmatiques de l’hypothalamus) impliquées dans la régulation des rythmes biologiques. Notamment en déterminant la production d’une hormone, la mélatonine.
Pour que l’ensemble soit bien réglé, notre organisme a besoin de lumière le jour, d’obscurité la nuit. Mais si on est une partie de la journée en intérieur (baisse d’intensité lumineuse par rapport à l’extérieur) et le soir exposé à de multiples sources lumineuses (éclairages et écrans), les rythmes biologiques sont perturbés. Notamment, la synthèse de mélatonine le soir est retardée ou inhibée par la lumière riche en bleu. Cela impacte le sommeil, la vigilance, les performances cognitives. On peut ainsi voir la lumière bleue comme un perturbateur endocrinien, au même titre que ceux dont je parle dans d’autres articles :
La perturbation peut aller loin. La mélatonine d’une femme enceinte traverse la barrière placentaire et agit sur le fœtus. Quels sont les risques pour son développement ?
Il y a aussi des questions sur un possible impact métabolique et sur le possible développement de certains cancers. Les études sont en cours.
Donc attention aux objets décoratifs, guirlandes par exemple, ayant des leds bleues ! attention aux leds dans les chambres d’enfants !
L’impact environnemental
Pour l’éclairage public, l’ANSES pointe du doigt les impacts négatifs de la lumière la nuit qui engendre une augmentation de la mortalité et un appauvrissement de la diversité des espèces animales et végétales étudiées dans les milieux éclairés la nuit, y compris par des éclairages à LED. La lumière sert de point de repère et…
Pratiquement toutes les cellules vivantes possèdent une horloge interne. Du microbe à la plante ou à l’animal, la régulation se fait souvent à partir de capteurs de… lumière bleue, comme chez nous humains. Mettre des leds un peu partout a donc un impact sur la santé des humains comme de l’ensemble de la biodiversité.
Phototaxie et phototropisme
- La phototaxie est, chez les animaux, le mouvement locomoteur d’un organisme à une stimulation lumineuse. Et… ce sont les sensibilités dans les UV et le bleu qui sont majoritairement impliquées.
- La croissance des plantes et des champignons est orientée en fonction de la lumière. C’est le phototropisme qui est guidé par… la lumière bleue.
- On trouve aussi une sensibilité aux UV et à la lumière bleue chez les cyanobactéries et les archéobactéries.
Si ce sujet vous intéresse, je vous conseille ce rapport de plus de 400 pages. Je n’en ai fait ici qu’un bref résumé, il donne des informations variées et circonstanciées. Saviez-vous par exemple que la lumière côtière représente un danger majeur pouvant conduire à l’extinction, pour les différentes espèces de tortues marines de par le monde ?
Les tortues
En effet, « la lumière côtière de nuit altère le choix du lieu de nidification ou l’abandon du nid en cours de nidification, ou encore provoque la ponte en mer. L’émergence des jeunes, qui s’effectue essentiellement de nuit, est également altérée et celles ayant atteint la mer rebroussent chemin s’il y a éclairage ». […] « Robertson et al. ont étudié l’impact de LED émettant dans le rouge (bande étroite, 600-670 nm, max = 640 nm) ou le jaune (bande large, 600-750 nm, max = 620 nm) chez la caouanne (Caretta caretta) sur plusieurs sites de la côte est australienne. À intensité égale, les 2 longueurs d’ondes induisent une désorientation totale des jeunes juste éclos dans leur course vers la mer. L’effet maximal est obtenu avec la couleur ambre, et en absence de lune. Ils dépendent du nombre de spots d’éclairage. »
Des cascades de conséquences
Ce rapport rappelle aussi que les effets directs d’une pression anthropique telle que la pollution lumineuse sur une espèce peuvent entraîner des effets indirects en cascade et de grande envergure sur l’ensemble de l’écosystème dans lequel elle vit. Exemple…
L’exemple des chauves-souris
Les chauves-souris représentent 30 % des mammifères. L’activité nocturne de ces mammifères volants est de loin la plus importante de tous les mammifères nocturnes connus. Les observations réalisées en milieux naturel et urbain montrent un retard de la sortie des nichoirs et une diminution des capacités à se reproduire, une modification des vitesses et des itinéraires de vol (trajectoire, hauteur) ainsi que des collisions importantes avec l’obstacle éclairé.
La lumière a aussi un impact sur les populations d’insectes dont se nourrissent les chauves-souris insectivores, et plus particulièrement les papillons nocturnes. Ces derniers sont puissamment attirés par la lumière de nuit, ils s’épuisent à voler autour des lampadaires. C’est l’une des raisons pour lesquelles la population mondiale de papillons nocturnes est en constante diminution. Et si les insectes sont près des lampadaires qui font fuir les chauves-souris, de quoi vont-elles se nourrir si elles sont insectivores ?
En outre, les lépidoptères nocturnes sont parmi les plus grands pollinisateurs. S’ils vont près des lampes de rues et non dans des zones végétalisées, la pollinisation des plantes qui en dépendent est en jeu ! Donc leur reproduction, mais aussi la production de fruits. Donc l’alimentation… De plus, perturbés par la lumière, leur diminution affecte les prédateurs des papillons : araignées, petits vertébrés.
Carollia sowelli est une chauve-souris tropicale américaine. En présence d’un éclairage de 4,5 lux, son activité est réduite de 50 %, sa consommation de fruits de 20 % et l’heure de cette consommation est repoussée. Or cette espèce est importante pour la dispersion des graines de plantes de la famille des Piperaceae (poivrier) et des Solanaceae (pomme de terre, tomate, aubergine, piment)…
L’exemple des saumons
En début d’article, j’ai évoqué les modifications d’un barrage altiligérien pour favoriser la reproduction des saumons. Poursuivons ici sur les saumons du bassin Loire/Allier.
Le jeune poisson parcourt 800 km depuis son lieu de naissance pour gagner la mer où il part se nourrir et où il reviendra se reproduire. Tout au long du parcours il est confronté à une série d’obstacles et de pressions d’origine anthropique :
- les barrages ;
- l’éclairage des villes, zones industrielles et portuaires ;
- la température trop élevée, en particulier près des centrales nucléaires qui rejettent de l’eau chaude ;
- les rejets polluants des villes et des campagnes ;
- la pêche et le braconnage.
À cela s’ajoutent les perturbations liées au changement climatique : élévation de la température, acidification des océans.
En un siècle, la population de saumons du bassin est passée de dizaines de milliers d’individus à quelques centaines.
En résumé, concernant les LEDS :
- Leur consommation électrique est vraiment très faible… mais leur fabrication est énergivore.
- Elles contiennent des substances qu’on n’arrive pour l’instant pas à recycler, dont les ressources planétaires limitées diminuent.
- Elles émettent de la lumière bleue qui dérèglent les rythmes biologiques et peuvent dégrader notre rétine.
- Elles participent à la pollution lumineuse.
Agir : Éteindre les éclairages inutiles
Un moyen d’action simple et qui permet de faire des économies : Éteindre commerces et bureaux une fois les employés partis. Mais aussi éteindre les pièces où il n’y a personne. Serait-ce tellement peu évident qu’il faut des textes de loi ?
Aperçu législatif
L’article 35 de l’Arrêté du 4 août 2021 stipule que, dans « les parties communes intérieures verticales [escaliers] et horizontales [couloirs] et les parcs de stationnement, toute installation d’éclairage comporte, pour chaque local, un dispositif automatique permettant, lorsque le local ou le parc de stationnement est inoccupé :
– soit l’abaissement de l’éclairement au niveau minimum réglementaire ;
– soit l’extinction des sources de lumière artificielle, si aucune réglementation n’impose un niveau minimal.
De plus, lorsque le local a accès à l’éclairage naturel, il intègre un dispositif permettant une extinction automatique du système d’éclairage dès que l’éclairement naturel est suffisant. »
Autre texte de loi important : l’arrêté du 27 décembre 2018 relatif à la prévention, à la réduction et à la limitation des nuisances lumineuses (à la suite du Grenelle II de l’environnement). Il réglemente les éclairages :
- liés à une activité économique / commerciale,
- de mise en lumière du patrimoine et des parcs et jardins,
- des parcs de stationnement
- des chantiers
Avec une précision importante :
« Des adaptations locales plus restrictives peuvent être prises par le préfet pour tenir compte de sensibilité particulière aux effets de la lumière d’espèces faunistiques et floristiques ainsi que les continuités écologiques mentionnées à l’article L. 371-1 du code l’environnement dans les conditions définies à l’article R. 583-6 du code de l’environnement. »
arrêté du 27 décembre 2018 relatif à la prévention, à la réduction et à la limitation des nuisances lumineuses (fin de l’article 2)
L’extinction nocturne de l’éclairage public
Dès 2012, la Fédération des Parcs Naturels Régionaux de France et l’Association Nationale de Protection du Ciel et de l’Environnement Nocturnes (ANPCEN) ont signé une convention de collaboration autour de l’amélioration de la qualité de la nuit afin de limiter les nuisances lumineuses.
Il existe un label : « villes et villages étoilés ». En France, 722 communes détiennent ce label. En Haute-Loire, Saint-Julien-Chapteuil (où un télescope est implantée) est la première commune à avoir reçu ce label étoilé en 2012. Dans sa lignée, 34 autres ont suivi ses traces, sur 257 communes (soit 13%). Cette labellisation est actualisée tous les 5 ans, le renouvellement est prévu en 2024. (article)
Autre exemple dans le parc naturel régional du Livradois Forez. Châteldon (63). On y a commencé à éteindre l’éclairage public pendant la nuit (et à cesser d’éclairer le ciel) en 2013. Pour des raisons financières, mais surtout environnementales.
« Rappelons que 75% des espèces vivantes sont nocturnes. Toutes les modifications apportées par l’Homme à l’environnement nocturne impactent directement ces espèces. Les insectes meurent d’épuisement en tournant autour des lampadaires, des rouges-gorges chantent en pleine nuit, les oiseaux migrateurs qui s’orientent grâce aux étoiles se trouvent désorientés par la lumière, les chauves-souris désertent les endroits éclairés, sans oublier les vers luisants dont on comprend bien les difficultés qu’ils peuvent rencontrer !
Guillaume Joubert (source)
La réduction de la pollution lumineuse est donc primordiale si l’on veut mettre en œuvre une vraie politique de préservation de la biodiversité. »
L’obscurité naturelle de la nuit est une ressource au même titre que l’eau dans les rivières !
Trame noire
L’actuelle érosion de la biodiversité a des causes multiples. Outre la réduction de la surface des habitats naturels, leur fragmentation est l’une des principales atteintes aux écosystèmes. Un schéma de Camille Clauzel explique bien la différence entre réduction et fragmentation des habitats.
Restaurer la capacité des espèces à traverser le paysage pour passer d’un milieu habitable à un autre, aboutit à de nouvelles formes de politiques de conservation de la nature, fondées sur des réseaux de protection plutôt que sur des aires sans connexion entre elles. Pour les espèces nocturnes, on parlera de trame noire.
La lumière artificielle nocturne possède un pouvoir d’attraction ou de répulsion sur les animaux vivant la nuit. Les espèces attirées par les points lumineux sont désorientées et celles qui évitent la lumière peuvent être confrontées à des zones infranchissables pour elles. Au carrefour de l’aménagement du territoire, de la préservation de la biodiversité et des économies d’énergie, des territoires développent des projets de « trame noire », des réseaux écologiques propices à la vie nocturne.
Un travail important est mené (notamment) dans trois parcs naturels du Massif Central : parcs naturels régionaux du Pilat et du Morvan et Parc national des Cévennes. Ces parcs, membres de l’IPAMAC, Association des parcs du Massif central, collaborent avec le collectif interdisciplinaire de recherche Renoir spécialisé dans les environnements nocturnes et dans les impacts de la lumière artificielle. Un article du site Géoconfluences l’explique bien.
Agir : concevoir de nouveaux éclairages
Éteindre les lumières inutiles est bien sûr important, mais ne saurait résoudre la question suivante : comment nous éclairer, quand nous en avons besoin, en limitant la consommation d’énergie et sans polluer ? Une partie de la réponse pourrait provenir de la bioluminescence. Nous savons qu’il existe des êtres vivants dans la nature qui produisent naturellement de la lumière. Vers luisants, bactéries associées à des poissons par exemple. Des recherches sont menées pour créer des sources d’éclairage utilisant ces propriétés. Pour l’instant, on en est à la réalisation de décors lumineux, pour des vitrines ou de l’événementiel (article). Plus ambitieux, des chercheurs s’intéressent à l’obtention d’arbres destinés à éclairer les rues dans le futur.
Première mondiale à rambouillet
20 janvier 2023, inauguration de l’éclairage par bioluminescence d’un mobilier urbain, installé sur le parvis d’une salle de spectacle, à Rambouillet, dans les Yvelines. C’est une première mondiale, qui fait donc la une de nombreux journaux. (article)
Vous aussi désirez agir ? Cette page de France Nature Environnement d’Auvergne Rhône Alpes propose des pistes pour les collectivités comme pour les particuliers. On y trouve de nombreux guides et livrets pédagogiques.