Parmi les milieux très vulnérables face au dérèglement climatique figurent les tourbières.
Partons à la découverte de ces milieux humides qu’on appelle aussi, selon les régions… haut ou bas marais, faignes, seignes ou sagnes, mais aussi narces. Par exemple les narces de Chaudeyrolles en Haute-Loire – 43, les sagnes de la Godivelle au cœur du Cézallier (63 – Puy-de-Dôme)…. Découvrons ces sites et leur biodiversité. Comprenons leur importance comme « puits de carbone », « châteaux d’eau » pour certaines rivières, et « mémoire des lieux ».
Cela nous permettra aussi d’illustrer différents niveaux d’action des collectivités, à l’échelle locale, nationale et européenne.
La localisation des tourbières en France
En France, les tourbières occupent moins de 100.000 ha. Moins de 1.000 km2, l’équivalent de deux fois la métropole Lyonnaise ou moins d’un tiers du parc naturel régional du Livradois Forez. A titre de comparaison, la Haute-Loire occupe presque 5.000 km2 et le Puy-de-Dôme presque 8.000.
La superficie totale occupée par les tourbières en France est en cours d’investigation. Il n’existe aucun inventaire complet des tourbières françaises, plusieurs inventaires non exhaustifs identifiant les secteurs à forte concentration en tourbières (source). On peut en lire les fiches descriptives qui nous indiquent l’importance des tourbières RECENSÉES par région / département, classées par ordre décroissant de superficie :
- Limousin : 2 852 tourbières pour 11 442 ha
- Rhône-Alpes : 623 tourbières représentant 10158 hectares
- Basse-Normandie : 107 tourbières pour 9 880 ha
- Midi-Pyrénées : 1053 tourbières représentant 5770 hectares
- Alsace : 89 tourbières pour 5176 ha
- Lozère : 1536 tourbières pour 5045 ha
- Auvergne : 146 tourbières représentant 3325 hectares
- Franche-Comté : 363 tourbières représentant 2836 hectares
Ces chiffres représentent uniquement les tourbières recensées. La région Auvergne est ainsi une région riche en tourbières avec un grand nombre de sites répartis au sein des 4 départements.
Les tourbières d’Auvergne
La diversité des tourbières rencontrées en Auvergne est importante, avec des tourbières de pente, des lacs tourbières… avec aussi tous les stades d’évolution. L’inventaire évoqué ci-dessus présente seulement une sélection de moins de 150 tourbières pour environ 33 km2, mais représentative de l’ensemble du patrimoine tourbeux. En Auvergne, les tourbières se situent au dessus de 800 mètres d’altitude, avec une forte présence entre 1 000 et 1 200 mètres. La taille des tourbières varie de quelques mètres carrés pour les tourbières de pente à des surfaces d’environ 100 hectares pour les plus grandes (le plus souvent : entre 10 et 20 hectares.)
Dans le PNR du Livradois-Forez
En Auvergne, le parc naturel régional du Livradois-Forez présente d’intéressantes tourbières :
- Au Sud, la tourbière du Mont-Bar s’est formée dans le cratère d’un magnifique volcan « strombolien » à Allègre (Haute-Loire). Cette situation est unique : normalement, les volcans stromboliens sont trop perméables pour retenir l’eau nécessaire à la formation de tourbières.
- Au centre, sur les monts du Forez (entre 1.400 mètres d’altitude et jusqu’au point culminant, Pierre-sur-Haute : 1.634 mètres d’altitude), on recense approximativement 80 tourbières, qui occupent 1.000 des 10.000 hectares des Hautes Chaumes. Il s’agit de l’un des plus grands massifs de tourbières de France.
- Enfin au Nord, entre Puy-de-Dôme, Allier et Loire, les Bois Noirs abritent d’exceptionnelles tourbières bombées, accumulation de tourbe depuis 7.000 ans. La hauteur de la plus grande, 6 m de hauteur, est exceptionnelle.
Dans cet article, je m’intéresserai particulièrement à ces trois sites remarquables. Commençons par découvrir ce biotope.
Le BIOTOPE spécifique des tourbières
Une tourbière est un milieu favorable à la formation de tourbe : Une matière qui se forme par la très lente décomposition des végétaux dans un milieu saturé en eau. La première caractéristique des tourbières est donc la saturation quasi permanente des sols en eau. Cette saturation en eau suppose une roche sous-jacente peu perméable, argile par exemple.
Cette eau apporte une certaine charge trophique (azote, phosphore) et minérale (calcium, magnésium, etc.). La pauvreté ou richesse de l’eau va déterminer quelles plantes vont pouvoir se développer et, partant de là, l’ensemble du réseau trophique présent.
Le relief est un élément important à prendre en considération. En effet, il impacte les écoulements d’eau. De plus, la production / dégradation de la tourbe peut expliquer des éléments de la topographie du site.
L’acidité du sol favorise aussi la formation de tourbe. Cette acidité peut être liée à l’altération d’un substrat rocheux acide. Elle peut aussi être entretenue par le développement de végétaux acidifiants le milieu (sphaignes, à découvrir plus bas).
Les conditions climatiques ont aussi un rôle à jouer. Le froid dans les régions arctiques, les fortes précipitations dans les zones équatoriales, ralentissent l’activité microbienne, donc la décomposition des végétaux. Cela permet leur lente transformation en tourbe.
Ainsi, en Livradois-Forez, topographie et faible perméabilité des sols se sont conjuguées pour piéger l’eau de fonte des neiges, générant de multiples zones humides et tourbeuses.
L’origine de l’eau des tourbières
Il est essentiel pour une tourbière d’être alimentée en eau… Parfois cette eau provient du sous-sol, parfois c’est l’eau issue des précipitations (pluie et neige) uniquement :
Dans les tourbières minérotrophes, l’eau provient de sources ayant été en contact avec le substrat géologique. L’eau s’est ainsi chargée en éléments minéraux. Ce type de tourbière se caractérise par une nappe phréatique en surface ou très proche de la surface. Ce type de tourbière est relativement peu acide (pH entre 6 et 8), mais relativement riche en éléments nutritifs. La flore de ces tourbières se compose principalement de mousses et d’herbacées.
Les tourbières ombrotrophes à l’inverse sont déconnectées de l’influence directe de la nappe phréatique, très profonde. Leur alimentation en eau dépend des précipitations. Ces tourbières sont dès lors des milieux relativement acides (pH inférieur à 4,6), et pauvres en minéraux. La végétation de ces tourbières est constituée principalement de sphaignes, ainsi que d’arbustes et d’arbres, dont les racines profondes peuvent atteindre les eaux de la nappe phréatique.
Ces deux types de tourbières correspondent en fait à deux époques dans la vie d’une tourbière. En effet, initialement, le milieu est saturé en eau et seule une faible épaisseur de sol n’est pas saturée (l’acrotelme), la nappe phréatique est alors quasiment en surface. Cette phase initiale correspond aux tourbières minérotrophes.
A mesure que la tourbe s’accumule, le niveau de la tourbière s’élève. Progressivement, la végétation en surface de la tourbière s’éloigne de la nappe phréatique. Si les précipitations ne sont pas suffisantes, la tourbière s’assèche. La formation de tourbe se ralentit. La végétation change, laissant place à un milieu forestier. Au contraire, des précipitations suffisamment abondantes peuvent alimenter la tourbière qui s’acidifie et devient ombrotrophe.
Une roche sous-jacente peu perméable
Prenons l’exemple de la tourbière du Mont-Bar à Allègre (43 – Haute-Loire).
Le Velay est la plus grande province volcanique du Massif Central et sans doute la moins connue. On y trouve tous les types d’édifices volcaniques. Leur âge s’échelonne entre 13 millions et quelques centaines de milliers d’années.
Le Mont-Bar fait partie des jeunes volcans du Velay. Ainsi, il y a 790.000 ans, durant plusieurs mois, l’éruption effusive du Mont-Bar a donné naissance à un cône de scories culminant à 1.172 mètres, avec un cratère large de 500 mètres et profond de 40 mètres (environ 4 hectares). Le magma s’est insinué par l’une des nombreuses failles qui lézarde le plateau granitique sous-jacent.
Ce type de volcan, couramment qualifié de strombolien, donne habituellement un milieu très perméable, drainé par les fragments de basalte. Mais ici ces projections se sont altérées et transformées en produits argileux. Il y a environ 15/20.000 ans, l’argile a progressivement colmaté le fond du cratère. L’eau de pluie ne s’infiltrant plus, un lac s’est formé. La végétation l’a colonisé et transformé en tourbière.
En 1821, les paysans entreprirent de creuser un drain pour l’assécher et, ainsi, le transformer en pâturage. Dès lors, des arbres commencèrent à pousser. Vers 1940, les paysans cessèrent l’entretien du drain. L’amoncellement de troncs et des débris de végétation, la lente érosion des bords du canal obstruent celui-ci. L’eau put de nouveau s’accumuler dans la tourbière ; la végétation aquatique reprit ses droits. Quant aux arbres, leurs racines se trouvant privées de dioxygène, beaucoup dépérirent.
la biocœnose DES tourbières
Les tourbières abritent une biodiversité remarquable : Sur environ un millième du territoire métropolitain, on trouve 6 % (27) des espèces de plantes vasculaires de la liste rouge nationale, 9 % (39) des espèces protégées nationales. Par ailleurs, 6 % des espèces de la flore vasculaire sont inféodées aux tourbières. (source).
Concernant les tourbières d’Auvergne, la flore est particulièrement diversifiée grâce à la position de la région à un carrefour climatique. On y note 33 espèces végétales protégées, dont 24 au niveau national et 9 au niveau régional. Deux espèces sont citées dans l’annexe II de la Directive Habitats, et 27 espèces inscrites sur la liste rouge nationale, dont 8 prioritaires et 19 à surveiller. Parmi ces plantes, l’Auvergne accueille la plus forte concentration de l’hexagone de Ligulaire de Sibérie et de Laîche à longs rhizomes.
Nous nous intéresserons ici aux tourbières ombrotrophes, acides et pauvres en minéraux.
Les sphaignes, emblématiques des tourbières
Les tourbières ressemblent à des tapis spongieux sous lesquels les débris végétaux, mal décomposés, forment la tourbe. Le végétal clé de ces « éponges » est la sphaigne qui appartient au groupe des mousses.
Caractéristiques générales
Ce qui caractérise les sphaignes c’est, d’une part, l’absence de soie sur la capsule, mais, surtout, l’observation au microscope. En effet, si on observe une mousse du genre Polytrichum ou Polytrichastrum au microscope, on voit que toutes les cellules de la feuille sont identiques.
A l’inverse, une feuille de sphaigne présente deux types de cellules foliaires très distinctes :
- De petites cellules vivantes et vertes en périphérie : les chlorocystes.
- De grosses cellules mortes et translucides gorgées d’eau, centrales : les hyalocystes.
Cela permet le fonctionnement « en éponge » des sphaignes suivant l’humidité ambiante. Elles peuvent absorber jusqu’à 20 voire 30 fois leur poids sec en eau !
La croissance vers le haut des tiges de sphaignes dure très longtemps. Cela permet l’accumulation des débris végétaux et la formation de tourbe, en conditions très humides et sans dioxygène. Les tourbières se développent essentiellement dans des régions fraîches, les basses températures ralentissant les réactions chimiques.
Diversité des espèces
Une trentaine d’espèces de sphaignes sont présentes en France, presque toutes de tourbières. Les distinguer nécessite l’emploi d’un microscope. On colore au bleu de méthylène quelques rameaux divergents du milieu d’une tige. On doit ensuite réaliser une coupe des feuilles pour observer la forme et la disposition des chlorocystes. Enfin, on doit faire une coupe de tige pour observer les pores à fort grossissement, distinguer sur quelle face ils se trouvent. La délimitation des espèces du genre Sphagnum est particulièrement controversée en raison de niveaux élevés de variations morphologiques.
Les espèces sont disposées selon des gradients environnementaux de pH, de concentrations de cations, dans des tertres et des dépressions, dans des régions humides ou sèches, ombragées ou ensoleillées, périphériques ou centrales, froides ou chaudes. Les facteurs connus responsables de cette disposition comprennent la capacité d’échange cationique, la tolérance et la résistance à la dessication, la capacité de rétention d’eau, la vitesse de dessèchement et la réaction photosynthétique à des teneurs différentes en eau. (source). Cela explique que certaines espèces vont être beaucoup plus vulnérables que d’autre face au dérèglement climatique avec des périodes de sécheresse et de canicule.
En Auvergne, beaucoup de sphaignes sont classées NT sur la liste rouge INPN : quasi menacées. Sphagnum majus (Russow) C.E.O.Jensen subsp. norvegicum Flatberg et Sphagnum molle Sull. sont en danger critique (CR) (source). Prenons pour exemple la première.
Sphagnum majus subsp norvegicum
Sphagnum majus a une niche très spécifique, cette espèce fait partie des sphaignes qui ont le plus besoin d’eau (source). Cela explique sa grande vulnérabilité actuelle.
Sphagnum majus (Russow) C.E.O.Jensen, 1890 est une espèce allopolyploïde : Le nombre de chromosomes a été multiplié suite à l’hybridation entre deux espèces différentes. Son génome nucléaire, mitochondrial et plastique est bien connu (références). Ainsi, l’analyse du génome des chloroplastes montre que S. annulatum est le parent paternel et S. cuspidatum est le parent maternel à l’origine de cette espèce.
Cette espèce présente deux sous-espèces, majus et norvegicum. (source). Des spécialistes ont effectué des analyses morphométriques et moléculaires avec des échantillons provenant de tout l’hémisphère nord pour tester la différenciation phénotypique et phylogénétique entre ces sous-espèces. Les résultats de leurs recherches ont été publiés en 2022 (article). Il n’y a pas de différence génétique, et, concernant les caractéristiques morphologiques, on note un grand chevauchement entre les deux sous-espèces. Donc… autant dire qu’à l’œil nu on dira « sphaigne » sans chercher à préciser l’espèce et encore moins la sous-espèce !
La sous-espèce Sphagnum majus subsp. norvegicum Flatberg, 1987 (donc nommée en 1987) a été découverte en 2009 pour la première fois en Auvergne, dans la tourbière de Bourdouze (Cézallier, Puy-de-Dôme). Son nom évoque son adaptation aux régions froides… Avec le réchauffement et la sécheresse, cette espèce devient de plus en plus rare vers le sud-ouest de l’Europe, l’Auvergne étant proche de la limite d’aire. (source).
Autres bryophytes caractéristiques des tourbières
A côté des sphaignes se développent de grandes mousses acrocarpes : Aulacomnium palustre et Polytrichum commune dans les secteurs assez humides, Polytrichum strictum au sommet des buttes de sphaignes en voie d’assèchement.
Au milieu des sphaignes, vivent de toutes petites hépatiques à feuilles : Odontoschisma spp., Cladopodiella fluitans…
(source).
Végétaux vasculaires des tourbières
Les tourbières offrent un milieu très particulier où seuls quelques végétaux vasculaires, bien caractéristiques, peuvent se développer. C’est le cas du lycopode des tourbières Lycopodiella inundata et des plantes carnivores telles que la Drosera.
Lycopodiella inundata
Lycopodiella inundata (L.) Holub, 1964 est une espèce de petite fougère (3 à 10 cm de hauteur) à rameaux rampants solidement ancrés au sol et émettant 1-2 rameaux verticaux. Le sommet des rameaux verticaux est différencié en un épi sporifère dont les feuilles sont identiques à celles des rameaux végétatifs mais plus étalées et un peu renflées à leur base où se trouvent des sporanges. Cette espèce est hydrogame : la fécondation a lieu en milieu aquatique. Elle est anémochore : le vent disperse les spores (source).
Cette plante colonise le milieu avant les sphaignes. Elle a besoin d’un sol pauvre en nutriments, acide et suffisamment humide (source). Elle est devenue très rare ou absente des régions d’agriculture intensive, en raison notamment du drainage des tourbières et d’une eutrophisation de l’environnement. Enfin, avec les périodes de sécheresse de plus en plus répandues… Cette plante est donc protégée.
Des plantes carnivores
Pour pallier le manque de nutriments et l’acidité du milieu, certaines plantes sont carnivores. C’est le cas des drosera.
Drosera rotundifolia L., 1753 par exemple est une petite plante mesurant moins de 20 cm de hauteur. Ses feuilles disposées en rosette ont une forme arrondie. Elles sont recouvertes de poils dont l’extrémité supérieure se transforme en glande, produisant un suc collant. Moucherons et fourmis s’y collent, leur trachée est obstruée par la sécrétion mucilagineuse… L’insecte meurt asphyxié. Ensuite, les poils se recourbent et des enzymes digèrent l’insecte, libérant des acides aminés dont la plante se nourrit. Seule la carapace subsiste. Charles Darwin s’est intéressé à cette particularité et y a consacré son ouvrage Les plantes insectivores.
Les fleurs, blanches, sont disposées en petites grappes. Elles éclosent de mi-juin à fin-août. La pollinisation est essentiellement entomophile : effectuée par les insectes.
Cette espèce possède des exigences écologiques très strictes. Elle ne pousse quand dans les zones de tourbières. La disparition de ces habitats concourent à la raréfaction de cette plante
Des sous-arbrisseaux et quelques fleurs
Surmontant sphaignes, lycopodes et plantes carnivores, quelques sous-arbrisseaux parviennent à se dresser. On peut ainsi voir la camarine noire Eupetrum nigrum, l’andromède à feuilles de pollum Andromeda polifolia, ou les canneberges Vaccinum microcarpum et oxycoccos.
Au rayon des plantes à fleurs emblématiques, nous pouvons penser à la gentiane pneumonanthe Gentiana pneumonanthe, à la succise des prés Succisa pratensis ou à la sanguisorbe officinale Sanguisorba officinalis.
Dans la tourbière du Mont-Bar, on note l’abondance de deux plantes :
- Le fraisier d’eau s’accommode d’un sol vaseux ; Il allonge ses rhizomes (tiges souterraines horizontales) qui conquièrent l’eau libre et forment un radeau permettent l’installation de nombreux végétaux.
- Le carex est une herbe graminée. Sa tige a une section triangulaire, ses feuilles plus longues que la tige, comportent deux pliures… et coupent ! En été fleurissent les épis.
La faune des tourbières
Milieu humide à la flore caractéristique, les tourbières abritent aussi une faune qui lui est pour partie spécifique. Concernant les insectes, l’Auvergne est la région française qui accueille les plus grandes populations du Cuivré de la Bistorte et du rare Agrion à lunules.
Des insectes caractéristiques
La succise des prés héberge la chenille du damier de la succise Euphydryas aurinia. Le papillon, marron à damiers orange séparés par une série de nervure organisées en lignes, partage son territoire avec le rare nacré de la canneberge Boloria aquilonaris.
Humides, les tourbières sont favorables au développement de certaines libellules, telle la cordulie arctique Somatochlora arctica. Elle pond ses œufs dans les eaux libres ou dans les sphaignes. Ses larves s’enfouissent dans la tourbe pendant 3-4 ans pour échapper à la sécheresse et au gel hivernal.
Des vertébrés
La vipère péliade Viperus berus apprécie l’air humide des tourbières.
Quant aux zones boisées, elles peuvent abriter le tarin des aulnes Carduelis spinusi.
Les tourbières des Bois-Noirs hébergent le lézard vivipare, la grenouille rousse. Dans les forêts alentours vivent des tritons alpestres et des salamandres tachetées. Quant aux hêtraies sapinières du secteur, elles abritent la chouette de Tengmalm, nocturne, et la chevêchette d’Europe, diurne.
A l’échelle microscopique…
Le monde microbien est également essentiel. Ainsi, des diatomées sont présentes dans les tourbières. Il s’agit d’ »algues brunes » siliceuses microscopiques. Le parc naturel régional du Livradois-Forez a mené une étude dans la tourbière de l’Étui dans les Bois Noirs. Cela a permis d’identifier les diatomées présentes, retracer leur évolution à l’échelle des derniers millénaires. Les scientifiques ont ainsi mis en évidence les relations existant entre les diatomées présentes et les caractéristiques hydrologiques et écologiques du site. Cela permet l’élaboration d’un outil de diagnostic de l’état écologique des tourbières.
l’IMPORTANCE écologique DES tourbières
Les tourbières sont des écosystèmes rendant des services écosystémiques majeurs. Nous avons compris qu’elles hébergent une biodiversité qui leur sont spécifique. Voyons maintenant leur importance pour le cycle du Carbone (donc pour le climat) et pour l’eau.
Les tourbières, des puits de carbone
La production de tourbe traduit le fait que le flux de production primaire est supérieur à celui de la décomposition de la matière organique. Ainsi, les taux annuels d’accumulation dans les tourbières dominées par les Sphaignes oscillent entre 0,05 et 0,15 (source). Les tourbières ont fonctionné ainsi comme des puits de carbone tout au long de l’Holocène (ces 12.000 dernières années). A l’échelle planétaire, ce rôle est important. La matière organique accumulée, la tourbe, contient environ 50 % de carbone : On estime qu’environ un tiers du carbone des sols mondiaux est stocké dans la tourbe.
Cette accumulation de tourbe dépend de l’activité des microorganismes décomposeurs, elle-même sous le contrôle de la température, l’oxygénation du milieu, la disponibilité en nutriments. L’activité microbiologique dépend aussi de la biodiversité en place : à toutes les échelles, il existe un réseau complexe d’interactions et, si un maillon est perturbé, tous les autres peuvent aussi l’être. Par exemple, dans les tourbières à Sphaignes, les modifications climatiques favorisent les végétaux vasculaires au détriment des bryophytes ; Par conséquent, les interactions entre les parties aériennes et souterraines de la tourbière vont être modifiées.
Les tourbières, de possibles châteaux d’eau
Pour illustrer l’importance de certaines tourbières pour les réseaux hydrographiques, je vous invite au Nord du Parc Naturel Régional du Livradois-Forez.
Le massif des Bois noirs est la plus grande surface boisée d’un seul tenant du Massif Central. Son point culminant est le puy du Montoncel (1.287 m). Ce massif classé Natura 2000 se trouve aux confins de la Loire, du Puy-de-Dôme et de l’Allier. Son intérêt réside dans la présence d’une douzaine de tourbières bombées. Sur une pente plus ou moins accentuée, une ceinture de bouleaux et de pins entoure le sommet d’un dôme très pauvre en végétation et recouvert de sphaignes.
La tourbière bombée de la Haute vallée de l’Étui
La tourbière bombée de la Haute vallée de l’Étui présente ainsi un bombement de six mètres de haut ! Elle est unique en France. On n’en connaît pas d’aussi marquée dans le monde ! 7.000 ans d’accumulation de tourbe. Ce site est situé entre 1130 m et 1170 m d’altitude, de part et d’autre du ruisseau de l’Étui, sur la commune de Saint-Priest-La-Prugne, dans le département de la Loire. Outre le froid lié à l’altitude, la pauvreté du milieu très acide et très humide limite la décomposition des plantes. Cela permet l’accumulation de tourbe. Assez impressionnant de penser que ces buttes, de part et d’autre du ruisseau, proviennent d’une petite plante…
Ces tourbières bombées sont alimentées par la pluie et la neige. Les sphaignes se gorgent d’eau lors des pluies automnales, lors de la fonte des neiges au printemps… Elles alimentent ensuite deux cours d’eau, la Bresbre et, surtout, l’Etui, tel un formidable château d’eau.
Leur préservation est essentielle. Le drainage des milieux pour être plantés détruit ces châteaux d’eau ! Or le site est en tête de bassin versant et garantit l’approvisionnement des cours d’eau entre Roanne et Vichy.
Pour les préserver, l’accès est limité. On a mis a nu les tourbières asséchées suite à la plantation d’épicéa dans les années 1960 : Les sphaignes sont revenues sur les souches ; le niveau d’eau est remonté. (source).
Par ailleurs, le parc naturel régional Livradois-Forez, qui assure le suivi du site, a mis en place piézomètres et divers instruments de mesure météorologique, afin de mieux connaître la tourbière, comprendre son évolution pour en améliorer la gestion.
Les tourbières des Hautes-Chaumes
Le massif de tourbières des Hautes-Chaumes sur les monts du Forez (entre 1.400 et 1.634 mètres d’altitude) occupent 1.000 hectares des Hautes Chaumes. Ces zones humides se sont formées, il y a 12.000 ans. Lorsque les glaciers ont fondu, l’eau s’est engouffrée dans les cuvettes qui façonnent le plateau des Hautes-Chaumes. Des mousses s’y sont développées et parmi elles, la sphaigne. Cette abondance en un végétal capable de retenir l’eau permet à ce massif de tourbières de constituer les sources de nombreux ruisseaux qui alimentent la Loire et la vallée de l’Ance (son affluent).
Les tourbières, des archives naturelles
la tourbière prend quelques millénaires pour accumuler une hauteur de plusieurs mètres de tourbe. Par exemple 7.000 ans pour la plus haute tourbière bombée (6 m) dans les bois noirs. Il faut prendre en compte cette lenteur dans l’entretien ou la réhabilitation de sites.
Mais la lenteur des décompositions permet aussi aux tourbières d’être des archives naturelles. Elles conservent en particulier les pollens. En procédant à des carottages des tourbes, les scientifiques analysent les pollens présents, couche après couche, qu’ils peuvent dater. On sait par exemple que, 7000 ans avant J-C, les pentes du Mont-Bar étaient presque exclusivement recouvertes de noisetiers, ou que le hêtre, un millier d’années avant notre ère, y était l’essence dominante.
Histoire des Monts du Forez
Des scientifiques ont ainsi analysé la présence des pollens et de macro-restes végétaux dans la tourbe des Monts du Forez (article). Ils ont alors pu affiné la connaissance de l’évolution de la végétation, la mise en place du système agro-pastoral :
- vers 5 000 ans cal. BP (before present, avant 1950, calibrées pour tenir compte des variations du carbone dans l’atmosphère) : arrivée du hêtre puis du sapin ;
- entre 5 700 et 5 000 ans cal. BP : indices d’anthropisation (plus tard que dans d’autres régions du Massif Central comme le Limousin et le Cantal.)
Histoire des Bois Noirs
Autre exemple d’étude, dans les Bois Noirs au Nord du PNR du Livradois-Forez (article).
Les scientifiques ont choisi le site du Verdier pour l’étude. Ils ont prélevé la tourbe, observé pollens et diatomées aux différents niveaux du prélèvement, daté ces différents niveaux au carbone 14. Ils en ont déduit que les petites tourbières plates, minérogènes, de ce secteur du Massif Central doivent leur existence à la présence d’obstacles. Des cordons rectilignes de terre ou de blocs, par exemple des parements en pierres supportant des chemins carrossables, ont gêné l’évacuation de l’eau. Cette eau stagnant, de petites tourbières ont pu s’installer.
- Parfois la tourbe surmonte des dépôts colluviaux sablo-graveleux à niveaux riches en bois. L’âge radiocarbone le plus ancien obtenu dans ces dépôts date de l’âge du Bronze Moyen (environ 3300 BP).
- La production de tourbe démarre au plus tôt à la fin de l’Age du Bronze (2780 +/- 45 BP).
- Des indices polliniques de présence humaine sont visibles entre 2130 et 2005 BP. Elle semble ensuite soit régresser soit changer de nature entre 1840 et 1780 BP.
- Les diatomées montrent le maximum de hauteur d’eau à la base de la tourbière, tandis que le niveau le plus bas enregistré est calé entre 1840 et 1780 BP.
Ces petites tourbières basses associées à des obstacles, très nombreuses dans le Massif central oriental entre 600 et 1200 m d’altitude, présentent un intérêt majeur pour la connaissance de l’histoire des paysages et de l’occupation humaine dans cette région montagneuse où les prospections archéologiques sont difficiles du fait du couvert végétal composé de forêts et de prés, et de l’absence de grands travaux
On a aussi pu dater l’arrivée des hêtraies sapinières dans le secteur des bois noirs à 3 496 ans avant JC.
la PROTECTION DES tourbières
Comme tous les milieux humides, les tourbières sont menacées par le dérèglement climatique. Mais aussi par leur destruction par drainage pour créer des zones agricoles ou des constructions, leur destruction provoquée par l’exploitation de la tourbe, mais aussi leur disparition par enfrichement. En effet, en l’absence de pâturage extensif autour des tourbières, des arbres comme le bouleau et l’aulne colonisent les tourbières et, progressivement, ferment ce milieu.
En Auvergne, plus de la moitié des tourbières se situent en contexte agro-pastoral sur des zones d’estive. Les principales atteintes constatées sur ces tourbières sont l’assèchement, principalement par le drainage, et la dégradation superficielle, notamment par le surpâturage ponctuel.
Pour conserver les services écosystémiques rendus par les tourbières, ces écosystèmes reconnus pour leur intérêt écologique majeur à différentes échelles (européenne, nationale, régionale et départementale) bénéficient de différents niveaux de protection.
Mais l’idée de protéger tourbières et marais est récente. On a d’abord voulu assainir ces lieux des « miasmes délétères », drainer pour les transformer en pâturages… Mais aussi parce que ces lieux focalisaient des peurs ancestrales. Les mares au diable n’existaient pas que dans la littérature ! Ou en exploiter la tourbe.
Le classement en site Natura 2000
Natura 2000 est le réseau européen des sites naturels identifiés pour la rareté ou la fragilité des espèces animales ou végétales et de leurs habitats naturels. On en compte presque 27.000 à travers l’Europe, dont 1 753 en France et 26 sur le territoire du Parc naturel régional Livradois-Forez. L’objectif de ce réseau est de préserver la biodiversité, maintenir voire restaurer le bon état de conservation des habitats naturels, en tenant compte des activités humaines, par la mise en place de modes de gestion adaptés.
Deux directives européennes sont à l’origine de ce réseau : la directive Oiseaux et la directive Habitats.
Des directives européennes
La Directive 92/43/CEE dite « Directive Habitats » porte sur la « conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage ». Adoptée en mai 1992 par le Conseil des ministres européens, elle entend contribuer à assurer le maintien et/ou la restauration des habitats naturels et des habitats d’espèces dans un état de conservation favorable. C’est un outil pour répondre aux objectifs de la Convention mondiale sur la préservation de la biodiversité (adoptée au Sommet de la terre à Rio en 1992). Cette directive répertorie plus de 200 types d’habitats naturels, 200 espèces animales et 500 espèces végétales.
La directive « Oiseaux » (1979) vise quant à elle la conservation à long terme des espèces d’oiseaux sauvages de l’Union Européenne en ciblant 181 espèces et sous-espèces menacées.
La constitution d’un réseau écologique communautaire (réseau Natura 2000) est la clé de voûte de l’application de cette Directive.
Ce réseau est constitué de 20.000 Zones Spéciales de Conservation (12% du territoire européen) désignées au titre de la Directive Habitats et de 3000 Zones de Protection Spéciales désignées au titre de la Directive Oiseaux. Suivant le principe de subsidiarité qui s’applique aux Directives européennes, chaque état membre a la responsabilité de son application sur son territoire et a la charge de définir les moyens à mettre en œuvre pour répondre aux objectifs fixés. La démarche choisie par la France pour répondre à ces préoccupations consiste à élaborer des documents d’orientation appelés « Documents d’objectifs ».
Le Document d’Objectifs (DOCOB)
Le document d’Objectifs constitue une référence et un outil d’aide à la décision pour l’ensemble des personnes ayant compétence sur un site Natura 2000. Il fixe pour 6 ans les conditions de mise en œuvre des mesures de gestion et de préservation : Qui fait quoi ? Avec quels moyens ?
Ce document accompagne l’acte officiel de désignation des sites en Zones Spéciales de Conservation.
Tout Document d’Objectifs comporte :
- un état initial du site : le patrimoine naturel , son état de conservation, les activités humaines qui s’y exercent, les projets, les politiques publiques qui le concernent ;
- un descriptif des objectifs et mesures définis pour le maintien, ou le rétablissement des milieux naturels dans un état de conservation favorable.
Il est le fruit d’une réflexion conduite en commun avec les partenaires locaux (élus, techniciens, associations d’usagers, professionnels de la forêt, du tourisme, propriétaires,…) les services de l’État et les opérateurs.
L’animation des Docob recouvre diverses actions réalisées par l’animateur du site Natura 2000 et ses partenaires, notamment la production de bilans annuels par les chargés de mission Natura 2000. Pour cela, l’office français de la biodiversité en propose une trame.
La gestion des sites Natura 2000
Le réseau Natura 2000 en France se base principalement sur une démarche contractuelle pour la mise en œuvre des Docobs et la gestion des sites. Les élus, agriculteurs, forestiers, chasseurs, pêcheurs, propriétaires terriens, associations, usagers et experts sont associés à la gestion de chaque site, en participant aux comités de pilotage (COPIL) locaux.
Par exemple le Parc Naturel Régional Livradois-Forez est chargé d’animer la mise en œuvre des DOCOBS de 15 sites Natura 2000 :
- « Monts du Forez »,
- « Plaine des Varennes »,
- « Rivières à Moules perlières de l’Ance du Nord et de l’Arzon »,
- « Dore et affluents »,
- « Complexe minier de la vallée de la Senouire »,
- « Auzelles »,
- « Cavité minière de la Pause »,
- « Tourbière de Virennes »,
- « Bois-Noirs »,
- « Puys de Pileyre et Turluron »,
- « Comté d’Auvergne et Puy Saint-Romain »,
- « Vallées et Piémonts du Nord-Forez »,
- « Mont Bar »,
- « Rivières à écrevisses à pattes blanches des vallées du Cé et de l’Auzon »,
- « Rivières à moules perlières du bassin de la Dolore »
Il a ainsi été l’opérateur local de l’élaboration du Document d’Objectifs du site Natura 2000 des Bois Noirs n°FR 830-1045, validé en 1997 par le comité de pilotage du site. Ce site caractérisé par ses tourbières bombées.
LeS PNR
Un Parc naturel régional est un territoire rural habité et accessible, reconnu au niveau national pour sa forte valeur patrimoniale et paysagère, pour ses richesses naturelles, mais aussi pour sa fragilité. En effet, il peut être menacé par la dévitalisation rurale, par une trop forte pression urbaine, ou par une exploitation non maitrisée de ses ressources. Environ un quart des sites Natura 2000 terrestres français se trouve dans un PNR.
Un PNR possède cinq missions :
- Protéger son patrimoine, notamment par une gestion adaptée des milieux naturels et des paysages ;
- Contribuer à l’aménagement de son territoire ;
- Contribuer au développement économique, social, culturel et à la qualité de la vie ;
- Assurer l’accueil, l’éducation et l’information du public ;
- Réaliser des actions expérimentales, contribuer à des programmes de recherche.
Il existe actuellement 56 Parcs naturels régionaux (54 en métropole, un en Guyane et un en Martinique).
- Le plus ancien : Scarpe-Escaut (1968)
- Le plus grand : la Guyane avec 659 500 ha et,en métropole, les Volcans d’Auvergne avec 388 957 ha, puis le PNR de Corse (375 0000 ha), des Grandes Causse (327 000 ha)
- Le PNR vient en quatrième position pour sa superficie (322 000 ha) et en troisième pour le nombre de communes
Un PNR ne dispose d’aucun pouvoir réglementaire. Il est impossible pour un PNR d’interdire la construction, la chasse, ou l’usage des sols. Les mesures de protection de la faune et de la flore, des eaux et des sols, des forêts et des paysages proviennent de la réglementation générale, mais aussi du classement de tel ou tel site.
Le PNR du Livradois Forez
Le parc naturel régional du Livradois-Forez est géré par un syndicat mixte. C’est un établissement public auquel adhèrent plusieurs types de collectivités : la région Auvergne-Rhône-Alpes, les départements du Puy-de-Dôme, de la Haute-Loire et de la Loire, 167 communes, des Communautés de communes.
- Le syndicat mixte de gestion du Parc Livradois-Forez a été constitué en 1984. L’objectif initial : lutter contre la déprise démographique.
- Le parc naturel régional Livradois-Forez a été « officiellement » créé par délibération du conseil régional d’Auvergne le 4 février 1986.
- Le ministère de l’Environnement a attribué le label parc naturel régional en décembre 1985.
Pour en savoir davantage : Site du PNR du Livradois-Forez.
Le formulaire standard de données
Autre document important pour chaque site Natura 2000, son FSD : formulaire standard de donnée. Il constitue la fiche d’identité du site permettant les échanges, notamment avec la Commission Européenne. La France a créé ce formulaire d’information pour chaque site Natura 2000 conformément à la décision d’exécution de la Commission Européenne du 11/07/2011.
Le fonctionnement et la réussite du réseau Natura 2000 sont liés au niveau d’information acquis sur les habitats et les espèces d’intérêt communautaire présents. Il est donc important de communiquer données et informations sous une forme structurée et comparable au niveau européen. On trouvera ainsi dans le FSD les caractéristiques du site, avec une présentation générale et une carte de localisation. Il recense les espèces végétales et animales, les habitats naturels d’intérêt communautaire présents.
C’est aussi la base d’appui pour évaluer les impacts possibles d’un projet sur les espèces et les habitats qui y sont inscrits.
exemple : le Mont-Bar
Prenons pour exemple le site Natura 2000 du Mont-Bar (fiche INPN). Comme expliqué plus haut, le Mont-Bar à Allègre (Haute-Loire) est le seul volcan européen issu d’une éruption effusive, à présenter une tourbière dans son cratère.
L’Arrêté de création de cette zone spéciale de conservation de 21 ha date du 22 août 2006. L’ensemble des informations est regroupé dans le FSD : formulaire standard de données.
La tourbière représente 14% du site. C’est une propriété départementale au titre des Espaces Naturels Sensibles ce qui facilite sa conservation. Dans le cadre de la politique Natura 2000, on a installé et entretenu des obstacles efficaces à l’intrusion du public.
Les habitats forestiers constituent l’essentiel du site Natura 2000. Il s’agit essentiellement de hêtraies à aspérules, privées. Les coupes sont possibles mais la gestion courante est plutôt favorable à la conservation des habitats forestiers (Coupes à blanc possible mais peu probables).
L’ensemble des outils de communication (sentier d’interprétation, plaquette, gazette et livret pédagogique) a été financé par des crédits de l’État et de l’Europe au travers du programme Natura 2000.
Life +
Le programme de financement européen LIFE lancé en 1992 a pour but de soutenir des projets de restauration de la nature, de développement de la biodiversité et d’amélioration de la gestion de l’environnement. Les programmes LIFE + succèdent aux programmes LIFE I (1992-1995), LIFE II (1996-1999) et LIFE III (2000-2006).
Parmi les programmes, Life + nature et biodiversité finance des projets contribuant à la mise en œuvre des directives « oiseaux » et habitats. D’autres vont financer des projets de communication.
Zone d’influence d’un projet
Tout porteur de projet doit évaluer les incidences potentielles de son projet sur la faune, la flore, les milieux… L’impact ne se limite pas au périmètre du site Natura 2000 mais va au-delà pour deux raisons :
- Les espèces peuvent se déplacer au cours de leur cycle de vie,
- Les effets du projet, directs (comme une pollution des eaux) ou indirects (perturbations sonores, émissions de poussières, etc.), peuvent parfois atteindre un site Natura 2000.
Les outils à disposition des propriétaires
Les propriétaires de parcelles incluses dans un site Natura 2000 peuvent bénéficier d’une aide technique et financière pour mettre en place des pratiques favorables à la biodiversité.
- Le contrat Natura 2000 permet d’effectuer des travaux de gestion / restauration favorables à la faune et la flore.
- La charte Natura 2000 valorise les pratiques favorables à la biodiversité. Y figurent des engagements répondant aux objectifs de préservation des habitats et des espèces qu’il abrite. En échange de leur engagement, les propriétaires bénéficient d’avantages fiscaux comme l’exonération de la taxe sur le foncier non bâti. Le Parc Naturel Régional qui gère les site Natura 2000 apporte informations et appui technique aux propriétaires.
- Pour les agriculteurs, les mesures agro-environnementales apportent du indemnisation pour compenser les coûts supplémentaires liés à la mise en place de pratiques favorables à la biodiversité.
PAC / MAEC / PAEC / PSE ?
Depuis 1992, les mesures agro-environnementales sont un des instruments incitatifs intégrés à la Politique agricole commune (PAC) qui est déclinée actuellement dans le plan stratégique national (PSN) 2023-2027.
Depuis 2014, en France, les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) doivent être mises en œuvre au sein de projets agro-environnementaux et climatiques (PAEC). L’exploitant doit indiquer s’il est engagé dans un paiement pour services environnementaux (PSE) mis en place par le Ministère de la transition écologique et les Agences de l’eau s’il y en a un dans son territoire.
Exemple de MAEC
Dans le cadre de la mise en œuvre de la PSN 2023-2027, des agriculteurs vont pouvoir bénéficier de MAEC sur le territoire du Parc Naturel Régional Livradois-Forez. Ce dispositif soutient financièrement les agriculteurs volontaires qui s’engagent, pour une durée de 5 ans, à mettre en œuvre des pratiques agricoles répondant aux enjeux agro-environnementaux.
C’est le cas d’agriculteurs ayant des parcelles sur le site Natura 2000 des Monts du Forez. Parmi les buts de ces mesures figure le respect des zones humides et des tourbières. En effet, elles sont plus sensibles au pâturage dans l’actuel contexte de baisse de précipitations / augmentation des températures. (en savoir plus).
Des réglementations locales
Le réseau Natura 2000 correspond à une réglementation européenne. D’autres mesures de protection peuvent être prises localement. Ainsi dans le Parc Naturel Régional du Livradois-Forez, deux arrêtés préfectoraux de protection de biotope sont justifiés par la présence d’espèces végétales et animales protégées, de milieux humides et tourbeux, habitats patrimoniaux et rares dans le département du Puy-de- Dôme :
- les étangs de la Molière
- les tourbières de Pater, Pillières et Puygros où vit la libellule Cordulegaster boltonii (Donovan, 1807)
Le territoire du Parc compte également deux réserves naturelles régionales :
- le magnifique Lac de Malaguet en Haute-Loire avec la tourbière en formation de Moissac-Bas.
- les Jasseries de Colleigne dans la Loire avec ses tourbières.
Enfin, Neuf Espaces naturels sensibles (ENS) bénéficient d’un plan de gestion, comme la vallée du Fossat, le Bec de Dore, la tourbière du Sapey, la forêt de la Comté, le cratère du mont Bar ou l’étang de Berbezit. On remarque ainsi que la tourbière du Mont Bar bénéficie d’une double protection : Natura 2000 et espace naturel sensible.
La tourbière de Moissac-Bas
Cette tourbière de 1 ha à 709 m d’altitude est entourée d’un bois marécageux à saules et à bouleaux. Une coulée de lave a provoqué la formation d’une cuvette étanche où s’est installé un plan d’eau, ensuite colonisé par une végétation tourbeuse.
Ce site est un exemple d’action volontaire pour réhabiliter un milieu naturel associant le Conseil Général, la commune de St Didier sur Doulon et le Parc Naturel Régional du Livradois Forez. En effet, une décharge sauvage y a été éliminée en 2006, remplacée par une mare venant augmenter la biodiversité. Un déboisement partiel a de plus permis d’ouvrir le paysage sur la tourbière. La gestion de ce boisement constitue un défi car il abrite plusieurs espèces de mousses dont Orthotricum rogeri, d’intérêt communautaire. Cette espèce fait l’objet d’un plan de conservation associant le Conservatoire botanique national du Massif Central. Ces actions ont reçu le financement de la Région Auvergne et de l’Agence de l’Eau Loire Bretagne. (source).
Les tourbières des jasseries de Colleigne
Les tourbières sont les zones humides les plus représentées dans les Jasseries de Colleigne. Elles en couvrent 10 % de la surface et contribuent pour une large part à l’intérêt botanique de la Réserve car elles hébergent de nombreuses espèces protégées et/ou rares. On y distingue deux types de tourbières.
Tourbières hautes
Les tourbières hautes présentent des accumulations de sphaignes qui peuvent former un dôme. Ces habitats sont plus ou moins « actifs » : Dans certains secteurs, la formation de la tourbe est encore très active, encore très humides ; la colonisation arbustive est, de ce fait, limitée. Dans d’autres secteurs, la dynamique de la tourbière est plus avancée : Des buttes de sphaignes se sont érigées suffisamment haut pour constituer un substrat moins humide. Des Callunes peuvent s’installer. Au cœur des secteurs évolués peuvent apparaître des dépressions tourbeuses. Elles sont dues à un effondrement de la sphaigne, formant des dépressions plus humides. Leur végétation se rapproche plutôt de celle des bas-marais. Elles peuvent abriter le Lycopode inondé (Lycopodiella inundata). Ces tourbières abritent des communautés à Trichophorum cespitosum (Scirpe cespiteux) qui peuvent couvrir des surfaces importantes, accompagné d’Eriophorum vaginatum (Linaigrette engainante), avec ses pompons blancs cotonneux.
Tourbières basses
Les tourbières basses, ou bas-marais acides, ne présentent pas d’accumulation de sphaignes. Il y a des sphaignes, mais en moins grandes quantités. On remarque ces tourbières basses le long des ruisselets et en mosaïque avec des tourbières hautes. Ils sont caractérisés par la présence de Carex nigra. On peut y trouver une espèce rare : Carex limosa. Ces milieux très humides sont également favorables à la plupart des papillons et libellules des jasseries.
La réserve naturelle est un territoire libre d’accès, mais protégé par une réglementation. Ainsi, pour éviter de polluer ou préserver la tranquillité de la faune sauvage, la circulation des véhicules à moteur y est interdite. Il est bien sûr interdit de faire du feu ou de jeter des détritus, de camper ou de cueillir des plantes ou minéraux. Les chiens doivent être tenus en laisse et on est tenu de ne circuler que sur les chemins balisés.
Des espaces inventoriés
Les Zones naturelles d’intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF) de type 2 correspondent aux grands ensembles naturels à l’intérieur desquels la biodiversité est très riche et ponctuée d’espèces déterminantes. Onze ZNIEFF de type 2 sont par exemple présentes sur le territoire du Parc Naturel Régional du Livradois-Forez et couvrent près de 18 % du territoire, souvent aussi classés Natura 2000 comme le massif des Bois Noirs ou les monts du Forez…
Les ZNIEFF de type 1 sont des zones d’inventaires caractérisées par la présence d’espèces, d’associations d’espèces ou des milieux, rares, remarquables. Il y en a 135 dans le Parc Naturel Régional du Livradois-Forez, elles couvrent près de 14 % du territoire. De nombreux inventaires concernant les milieux humides ont été réalisés afin de mieux les connaître, en particulier dans le bassin-versant de la Dore.
Nous avons vu que la tourbière du Mont-Bar fait partie d’un site classé Natura 2000. Qu’elle est un espace naturel sensible. Elle est aussi une zone d’inventaire ZNIEFF de type 1.
Nous pouvons ainsi voir qu’à l’échelle locale, se mobiliser est possible pour qui veut préserver des sites d’exception.