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Les lichens, des indicateurs de pollution


La pollution fait partie des grands « fléaux » de notre monde. Et pour étudier l’ampleur de la pollution atmosphérique ou la propagation de polluants dans l’air, les scientifiques choisissent bien souvent d’étudier les lichens présents. Les lichens, indicateurs de pollution aux PFAS, au dioxyde de soufre ou au dioxyde d’azote ?

Ramalina fraxinea, lichen indicateur de pollution
Ramalina fraxinea, un lichen très sensible à la présence de dioxyde de soufre

Qu’est-ce qu’un lichen ?

Les lichens appartiennent au règne des Fungi comme les champignons, mais il s’agit ici d’êtres symbiotiques : association obligatoire à bénéfice réciproque entre un champignon et un organisme capable de faire la photosynthèse (algue, le plus souvent chlorophycée, ou cyanobactérie).

Chez les lichens il n’y a pas de feuilles ou de tiges mais ce que les scientifiques appellent un thalle.

Pourquoi les lichens sont-ils des indicateurs de pollution ?

Les lichens sont en contact permanent avec l’atmosphère. Ils se développent grâce aux éléments qu’ils peuvent absorber dans l’eau de pluie et dans l’air et ne peuvent bouger de l’endroit où ils se trouvent.

Il en est de même des végétaux pensez-vous peut-être ? Pas tout à fait…

Anatomie d’un lichen et d’une feuille

Observons une feuille d’un végétal. On peut voir qu’elle est couverte d’une cuticule protectrice. Ce n’est pas le cas du thalle des lichens. En effet, chez les lichens, c’est directement une couche de champignon, le cortex, qui est en contact avec l’atmosphère. Mais surtout, les feuilles des végétaux possèdent des stomates qui s’ouvrent et se ferment. Inversement, si on observe des ouvertures dans le thalle de certains lichens, ce sont des pseudocyphèles : des zones où le cortex est réduit, laissant la médulle (partie centrale du thalle) à nu. Traduction en image :

Thalle de lichen & Feuille en coupe transversale

Par conséquent, si les feuilles peuvent réguler l’air absorbé, le thalle des lichens absorbe en permanence l’air et tous les polluants qui y sont contenus.

Une activité permanente des lichens

Autre différence. Les végétaux se nourrissent aussi d’éléments présents dans le sol, et certains y passent une partie de leur vie. Ainsi dans les régions tempérées, les plantes annuelles passent l’hiver sous forme de graines dans la terre. Quant aux plantes vivaces et aux bisannuelles, certaines y passent l’hiver sous forme de bulbes, rhizomes ou tubercules. Pour les arbres et arbustes, tous ceux à feuilles caduques passent l’hiver à l’état de vie ralentie et renouvellent leurs feuilles au printemps.

Rien de tel chez les lichens. Leur nourriture dépend exclusivement de la qualité de l’air et de l’eau de pluie. Leur thalle peut être actif en toute saison, et leur croissance est très lente, parfois moins d’un millimètre par an… Une partie atteinte n’est donc pas renouvelée à l’image des feuilles.

Et au début de leur vie ?…

Chez les végétaux produisant des fleurs et des fruits, les graines permettent la reproduction sexuée. Elles sont bien protégées par une enveloppe. Et elles vont germer dans la terre, donc relativement à l’abri de la pollution de l’air. Inversement, les lichens se reproduisent par des structures aériennes. Que l’on observe la reproduction sexuée ou la multiplication végétative, on voit une ou plusieurs cellules de champignon, associées ou non à l’algue symbiotique, sans protection. Et les hyphes (« filaments ») issues de la germination entrent immédiatement au contact de l’air, donc de la pollution si l’air est pollué.

On comprend ainsi que les lichens sont d’excellents indicateurs de pollution atmosphérique. Essentiellement de deux polluants, le dioxyde de soufre et le dioxyde d’azote. Mais aussi, depuis peu, les PFAS comme évoqué dans un post facebook relayant l’article PFAS. « Comment s’imprègnent les populations ? » Des études au long cours lancées dans la Métropole de Lyon

Le dioxyde de soufre, polluant majeur

Le dioxyde de soufre est uniquement un polluant. Les lichens y sont plus ou moins sensibles. Aucun lichen ne se développe quand la concentration en SO2 est trop élevée. En effet, ce composant majeur de la pollution urbaine et industrielle se dissout facilement et se transforme facilement en d’autres substances telles que des sulfites. L’ensemble de ces composants, via l’eau et l’air, entrent profondément dans les thalles des lichens et perturbent leur fonctionnement.

Détérioration des chloroplastes

Pour que le lichen soit en bonne santé, il faut que l’algue symbiotique puisse bien produire des sucres par photosynthèse. A l’échelle cellulaire, c’est un phénomène complexe qui demande de nombreux « ouvriers », les enzymes, qui « travaillent à la chaîne ». De nombreuses réactions se succèdent, toutes indispensables. L’algue doit pouvoir capter l’énergie lumineuse et la convertir en énergie chimique, permettant d’utiliser le dioxyde de carbone de l’air comme autant de briques pour fabriquer du sucre, ensuite stocké sous forme d’amidon. Une grande partie de ces étapes a lieu dans une « usine » appelée chloroplaste. Mais la pollution par le dioxyde de soufre et les sulfites détériore les chloroplastes et bloque l’activité de certaines enzymes. Les « usines » sont plus ou moins à l’arrêt ! Moins de sucre produit, voire pas de sucre du tout, c’est la famine qui menace le lichen !

Ci-dessous, un schéma montrant quelques éléments d’une cellule d’algue répandue dans les lichens, Trebouxia. Cet article de 2022 présente des observations au microscope d’algues du genre Trebouxia. Si besoin, vous pouvez trouver les définitions dans le lexique du site de l’association française de lichénologie.

Trebouxia

Notons quelques particularités du chloroplaste de Trebouxia pour les spécialistes :

  • Sa forme est lobée.
  • Il contient une structure globuleuse appelée pyrénoïde. Ce pyrénoïde contient de nombreuses enzymes importantes pour la photosynthèse.

Altération des mitochondries

Le lichen doit aussi pouvoir bien respirer. A l’échelle cellulaire, la respiration permet la production d’énergie et a lieu dans un organite appelé mitochondrie. Un peu comme une chaudière qui fonctionnerait au sucre. D’une part, il y a moins de sucre pour produire de l’énergie. Mais en plus, la pollution abîme la « chaudière » : les crêtes mitochondriales sont altérées.

On connaît depuis longtemps ces effets du dioxyde de soufre sur les chloroplastes et les mitochondries des lichens. Par exemple un article de 1984 montre les altérations visibles au microscope électronique de lichens soumis au dioxyde de soufre.

Enfin, ce polluant altère aussi la synthèse des protéines.

Ainsi, le dioxyde de soufre perturbe gravement le fonctionnement cellulaire des lichens. Quand la teneur en ce gaz polluant augmente dans l’air, il décolore les lichens. Cela signe une destruction des pigments photosynthétiques du photosymbiote, donc une diminution de l’activité photosynthétique. En conséquence, le lichen moins bien nourri va moins bien grandir et se reproduire (que ce soit par reproduction sexuée ou multiplication végétative) et, au final, peut mourir. Les lichens fruticuleux sont les plus sensibles à la pollution.

evernia prunastri
un lichen fruticuleux

Le dioxyde d’azote

Le dioxyde d’azote peut quant à lui être une source d’azote utile pour le développement des lichens. On dit qu’une espèce est nitrophile quand elle préfère ou exige des teneurs en azote relativement importantes.

Ainsi, l’étude de la répartition des lichens corticoles (= vivant sur des écorces) sur Pins et Mélèzes, à proximité des axes de circulation du Briançonnais, montre un changement d’espèces. Dans les zones proches de la circulation, ce sont des espèces nitrophiles qui se développent. Cette modification semble bien être liée à une eutrophisation des écorces par des oxydes d’azote rejetés par la circulation routière. Il s’agit essentiellement de jeunes thalles. Cette pollution est donc assez récente (ou augmentation récente). Vous pourrez lire un article complet sur ce sujet dans le bulletin de l’association française de lichénologie paru en 2003 (pdf).

Mais quand les teneurs en dioxyde d’azote augmentent, même les espèces nitrophiles disparaissent.

Observation de tilleuls…

Chaque espèce de lichen a des préférences quant au support colonisé : certains poussent sur des arbres, d’autres sur des pierres… Pour illustrer l’impact de la pollution sur les lichens, j’ai choisi de vous montrer quels lichens poussent sur le tronc d’un arbre couramment planté en ville, le tilleul.

Dans une grande ville

Regardons pour commencer les tilleuls plantés près de l’artère principale de la préfecture de Haute-Loire, Le Puy-en-Velay. Cette ville comptait 19 215 habitants en 2019, son unité urbaine 38 623.

Des lichens sur tilleul

Si on regarde les troncs de ces tilleuls plantés en centre-ville, on remarque qu’ils sont noirs de pollution. Les lichens, indicateurs de pollution, sont rares, peu développés, peu diversifiés.

De même, peu de lichens sur les pierres ou les autres arbres plantés à proximité de la circulation. Mais dès qu’on s’éloigne, en allant dans le parc de centre-ville par exemple, on en voit un peu plus. Inutile néanmoins de chercher les espèces les plus sensibles à la pollution comme Ramalina fraxinea dont je parle plus bas dans l’article.

Dans une petite ville

Craponne-sur-Arzon, 1 951 habitants en 2019, une des 72 communes de l’agglomération du Puy-en-Velay.

Tilleul d'une petite ville

Ce tilleul a été planté près de l’artère principale de Craponne-sur-Arzon. On y voit des lichens foliacés comme Xanthoria parietina, jaune, et Physcia adscendens, gris-vert, deux lichens courants qui supportent bien la pollution. On y voit également un lichen crustacé blanchâtre, probablement Phlyctis argena. Des tests avec des réactifs chimiques et des observations microscopiques sont nécessaires pour être sûr de la détermination des espèces de lichen. (fiche)

En zone rurale

lichens en zone rurale

Restons dans la grande agglomération du Puy-en-Velay, mais en zone rurale. Si on va par exemple dans les villages du plateau casadéen, autour de la Chaise-Dieu, on voit une grande diversité de lichens, où qu’on pose les yeux. Murs et arbres sont largement colonisés par les lichens, y compris par les plus sensibles comme Ramalina fraxinea. Ici, à titre d’exemple, le tilleul planté au centre du bourg de Cistrières. 134 habitants en 2019, répartis entre le bourg et plusieurs hameaux… Le long d’une départementale qui relie la sous-préfecture Brioude (6 609 habitants en 2019, 8131 pour l’unité urbaine) et la commune de La Chaise-Dieu (616 habitants en 2019)… Autant dire qu’il y a peu de circulation en journée, et aucune la nuit.

Sur les photographies, chaque tâche jaune ou de différentes nuances de gris correspond à une espèce de lichen. Nul besoin de connaître leur nom pour voir une différence entre la biodiversité des lichens en milieu urbain et en milieu rural. Parmi les lichens décrits ultérieurement, Physconia distorta est l’un des lichens présent sur le tilleul planté sur la place centrale du village de Cistrières.

Les lichens, indicateurs de pollution

On peut étudier en laboratoire les doses exactes de dioxyde de soufre accumulées par les lichens et les perturbations occasionnées. On peut faire de même pour le plomb et les autres métaux lourds, ou pour des éléments radioactifs. Mais, comme nous l’avons vu, c’est l’étude du dioxyde de soufre qui est la plus emblématique.

Le guide des Lichens de Pascale Tiévant aux éditions Delachaux et Niestlé, paru en 2001, nous indique les teneurs maximales en dioxyde de soufre tolérées par les espèces emblématiques. Les fiches de l’AFL sont également très intéressantes. Enfin, Les lichens et la bioindication de la qualité de l’air, guide technique à l’usage des professeurs et des lycées, éducation à l’environnement (de Jean-Pierre Gavériaux, édité par le CRDP de l’Académie d’Amiens en 1996) est particulièrement intéressant et contient tous les outils utiles pour l’étude des lichens en tant qu’indicateurs de la pollution de l’air.

Ramalina fraxinea, lichen indicateur de pollution

Ramalina fraxinea se développe là où l’air est « pur ». Les ronds qu’on voit sur les « branches » du lichen sont ses apothécies, ses organes reproducteurs, présents sur des lichens en bonne santé. On voit donc qu’ici l’air contient vraiment très peu de dioxyde de soufre.

Calocarpa aurantia

Calocarpa aurantia se développe là où il y a très peu de dioxyde de soufre, moins de 30 µg/m3 d’air. Ici, il est sur un poteau électrique en béton.

Physconia distorta

Physconia distorta se développe sur des troncs d’arbres, ici sur le tronc d’un tilleul. Ce lichen vit dans des sites peu pollué, il disparaît si la concentration en dioxyde de soufre est supérieure à 50 µg/m3 d’air. Les apothécies sont les organes reproducteurs : elles sont nombreuses si le lichen se porte bien, donc si l’air est peu pollué.

evernia prunastri

Evernia prunastri se développe sur des arbres,en particulier sur des pruniers. Ce lichen est relativement courant, il disparaît si la concentration en dioxyde de soufre est supérieure à 60 µg/m3 d’air.

Au fur et à mesure que la pollution augmente, la diversité des lichens diminue. Ainsi, à environ 70 µg/m3 d’air, on verra à la base des troncs Xanthoria parietina, jaune, et Physcia adscendens, gris-vert, deux des lichens photographiés à Craponne-sur-Arzon (voir plus haut dans l’article).

Au delà d’environ 150 µg/m3 d’air, il n’y a plus de lichen. Seule l’algue microscopique Pleurococcus viridis subsiste à la base des troncs. Et au delà de 180 µg/m3, plus aucun lichen ni algue microscopique ne réussit à vivre.

Des conséquences… sur les oiseaux !

Un intéressant article paru en 2006 dans le bulletin de l’association française de lichénologie (pdf) nous permet de comprendre que la pollution, en faisant disparaître les lichens, met en danger certaines espèces d’oiseaux !

En effet, des pinsons et mésanges notamment utilisent des lichens pour construire leurs nids. On trouve ces lichens vers l’extérieur du nid. Si les oiseaux n’ont pas ces lichens, les nids sont plus visibles : les oisillons risquent donc d’avantage d’être consommés par des prédateurs. Le casse-noix moucheté utilise quant à lui des lichens comme isolant thermique pour son nid. Là aussi, sans lichen, la mortalité des oisillons augmente.

Certains oiseaux comme les jeunes chevêchettes sont également moins visibles dans les arbres couverts de lichens. Cela les avantage pour repérer leurs proies ou échapper aux prédateurs. En l’absence de lichens, ces rapaces risquent de moins bien se nourrir et d’être plus rapidement la proie d’un prédateur.

Inversement, certains oiseaux peuvent favoriser la colonisation des lichens corticole. Par exemple le Grimpereau des bois marche sur les troncs de la base de l’arbre vers le haut, puis s’envole vers le bas d’un autre arbre. Ce faisant, l’oiseau arrache des isidies (organe permettant la multiplication végétative) et fragments de lichens, des Evernia prunastri par exemple, et favorise leur dissémination vers les parties hautes de l’arbre.

Un guide

Parmi mes sources, un guide que je vous conseille si vous êtes enseignant ou animateur et voulez organiser une séance sur l’estimation de la pollution grâce à l’observation des lichens :

Les lichens et la bioindication de la qualité de l’air, guide technique à l’usage des professeurs et des lycées, éducation à l’environnement. par Jean-Pierre Gavériaux, édité par le CRDP de l’Académie d’Amiens en 1996.

Et chez vous, comment se portent les lichens ?