On le sait bien, l’activité des insectes dépend de la température. En hiver, dans les régions froides comme en Haute-Loire, on ne voit plus un seul insecte volant. Aussi les martinets, hirondelles, fauvettes, bergeronnettes, bruants, rossignols et autres oiseaux insectivores migrent-ils vers des régions moins froides, où les insectes restent actifs. Rien de tel n’est possible pour les végétaux. Ils doivent s’adapter aux changements des saisons. Focus sur le cas des vivaces…
Variations saisonnières des végétaux
Parmi toutes les transformations, les modifications morphologiques sont les plus évidentes :
- les plantes annuelles passent la « mauvaise saison » sous forme de graines.
- Les plantes bisannuelles sous la forme d’organes de réserve souterrain (bulbes par exemple).
- Les plantes vivaces, quant à elles, emploient des stratégies variées.
-> Perdre ? Garder ses feuilles en automne ?
Ces modifications s’accompagnent de différences métaboliques.
- Les plantes sont en vie ralentie durant la « mauvaise saison » (Il peut s’agit du froid de l’hiver dans une grande partie de la France métropolitaine mais aussi, ailleurs, de la canicule estivale).
- On observe aussi une évolution des réactions chimiques qui se produisent dans les cellules.
Au microscope, on remarque des changements dans l’organisation des cellules. Ainsi en automne on peut observer l’accumulation de réserves. Et les caractères embryonnaires des méristèmes tendent à disparaître.
On appelle méristème les parties des bourgeons, tiges et racines où les « cellules » se multiplient activement, permettant la croissance indéfinie des végétaux. Les végétaux montrent de grandes différences quand on les observe au microscope électronique, qui toutes correspondent à une diminution d’activité et une perte d’eau. Voyons cela de plus près…
La multiplication des cellules selon les saisons
Dans les zones de croissance des feuilles, tiges et racines, on peut observer des divisions cellulaires appelées mitoses. Au cours de ces mitoses, les chromosomes « doubles » se séparent en deux chromosomes « simples ». Ils se répartissent équitablement entre les deux cellules filles. Puis les chromosomes se « décondensent » dans chaque noyau. Là, les informations portées par le matériel génétique permettent le fonctionnement de la cellule. Il y a aussi duplication de l’ADN, de manière à ce qu’au moment de la mitose suivante, chaque chromosome puisse être « double » et « séparable ».
Les chromosomes contiennent de l’ADN « bien emballé », comme vous mettriez vos affaires dans une valise pour partir en vacances. Puis les cellules passent en mode « actif ». De même que vous sortiriez vos affaires de vos valises pour les ranger dans l’armoire, de même l’ADN se retrouve dans le noyau. Il est alors moins condensé.
Les scientifiques savent très bien observer cela chez les végétaux. Ils se sont donc demandé dans quelle mesure il y a toujours des divisions cellulaires en hiver chez les plantes vivaces…
Les feuilles d’Iris au microscope
Si on observe au microscope les feuilles d’Iris Iris germanica L, on peut voir qu’en période hivernale, les divisions sont moins fréquentes qu’en période active. Lors du réchauffement, les cycles restent lents dans un premier temps. Il faut attendre plusieurs semaines pour que les divisions soient plus nombreuses. Les scientifiques ont mieux observé les noyaux pour comprendre ce qui se passe…
On peut lire les observations de L Genevès parues dès 1957 dans la revue générale de botanique. Sous l’effet du froid, on observe des zones plus condensées en périphérie du noyau. Ces modifications dépendent de la rigueur et de la persistance du froid. Si les températures sont plus douces, les noyaux retrouvent leur allure « normale » après un certain temps de latence.
On observe le même type de modification si on soumet des plants de topinambour à une chaleur de 38°.
C’est simple… Quand il fait trop froid (ou trop chaud), l’ADN est « pelotonné », condensé. Imaginez faire du tricot, du crochet ou du macramé avec une pelote dont le fil est très serré et entouré d’un emballage qui le maintient bien. Ce sera plus long que si la pelote est plus lâche… Mais en même temps la pelote sera plus résistante. Il en est de même pour l’ADN qui porte les informations génétiques, dans le noyau.
Bien sûr, avec le dérèglement climatique, les périodes de ralentissement de croissance peuvent changer…
Les bourgeons du frêne au microscope
De nombreuses espèces ne présentent pas un simple ralentissement des cycles cellulaires mais un arrêt saisonnier. C’est par exemple le cas dans les bourgeons du frêne. On les reconnaît facilement à leur couleur noire. Quant aux feuilles du frêne, elles sont composées.
Si vous connaissez mal les bourgeons, ces petits organes visibles en bout de tige et à l’aisselle des feuilles, je vous propose de regarder cette vidéo de Marc-André Selosse.
Le frêne est un arbre à feuilles caduques. Et il est facile d’observer que les rameaux n’émettent aucune feuille en automne – hiver, même en période de redoux. On dit que les bourgeons sont dormants. On parle aussi d’endodormance pour cette phase où la dormance est liée à des phénomènes intrinsèques au bourgeon. Pour le comprendre, A. Cottignie a prélevé les méristèmes des bourgeons. Il les a mis dans un milieu contenant de la thymidine tritiée :
- La thymidine est l’une des bases nécessaires à la construction de l’ADN, et uniquement de l’ADN.
- Dans la thymidine tritiée, on a remplacé l’un des atomes d’hydrogène par un atome de tritium radioactif. Ainsi, si les cellules fabriquent de l’ADN, elles deviennent radioactives.
Dans l’expérience d’A. Cottignie, les méristèmes ne sont pas devenus radioactifs. Ils n’ont pas intégré de thymidine tritiée. Cela prouve qu’en hiver, il n’y a pas de synthèse d’ADN. Ceci est confirmé par la mesure de la quantité d’ADN par cytophotométrie : en hiver, il y a toujours une quantité « simple » d’ADN.
Ces expériences montrent que, dans les bourgeons en dormance, les « cellules » des méristèmes sont bloquées dans le phase du cycle « entre mitose et duplication de l’ADN ». Les scientifiques l’appellent « phase G ». Au moment de la reprise de croissance, on observe une augmentation significative de la quantité d’ADN dans l’ensemble du bourgeon. Le « verrouillage » est levé, le métabolisme reprend simultanément à la même étape. Les cellules sont synchrones. Puis, progressivement, on note des décalages, car la durée des cycles est variable selon les cellules. Comme dans une fratrie, même des jumeaux peuvent avoir des rythmes différents.
Mais qu’est-ce qui provoque ce blocage des « cellules » ?
L’entrée en « vie ralentie »
Les chercheurs ont mené différentes expériences et observations au microscope sur des végétaux soumis au froid, mais aussi sur des végétaux qui entrent en « dormance » lors d’épisodes de sécheresse. Le froid comme la sécheresse provoque une sortie d’eau des « cellules ».
Cela engendre des modifications du noyau visibles au microscope : On note une contraction et une perte de sphéricité du noyau, une condensation plus importante de l’ADN.
J’ai parlé dans l’article Imprégnation hormonale : distilbène & perturbateurs endocriniens d’épigénétique et de condensation de l’ADN. Plus l’ADN est condensé, et moins les gènes sont « accessibles » pour être utilisés. Comme si le livre de recette était fermé et bien rangé : on perdrait dès lors la possibilité d’accéder aux recettes. Il en est de même dans les cellules en « vie ralentie ». L’ADN étant davantage condensé, il n’y a plus de fabrication d’ARN et de protéines, le métabolisme reste « au point mort ».
La levée de dormance
Pour les arbres et végétaux adaptés aux hivers froids, la levée de dormance des bourgeons et des graines n’a lieu qu’une fois que la plante a reçu une quantité suffisante de froid. Une fois la dormance levée, il y a une période de quiescence. On peut aussi parler d’écodormance pour cette période où la croissance / la germination devient physiologiquement possibles, mais ne débute qu’une fois que les conditions météorologiques sont favorables. Bourgeons et graines sont alors « en attente ».
Par exemple le pommier est un arbre rustique capable de supporter des températures de -15°C voire moins. Il a besoin, selon les variétés, de 400 à 1.500 heures de froid où la température est inférieure à 7,2°C. 1.000 heures, c »est l’équivalent d’une bonne quarantaine de jours. Ainsi, la variété Golden Délicious nécessite 600 à 800 heures de froid. La croissance reste lente tant que la période de froid n’a pas été suffisamment longue. Le manque de froid hivernal peut engendrer une irrégularité ou un retard de débourrement et de floraison, voire même une mauvaise floraison à cause de la mortalité et de la chute des bourgeons floraux (source).
Concernant les fraisiers, les besoins en froid (température inférieure à 7°C) des plants dépendent aussi des variétés : 800 à 1.000 heures pour la gariguette ou la ciflorette, mais plus de 1.300 heures pour les variétés Cortina ou Cilo par exemple (source).
Quant à l’amandier, 100 à 400 heures de froid (température inférieure à 7,2°C) suffisent à lever la dormance des bourgeons (source). Si la température est inférieure à 7,2°C la nuit, pendant par exemple 10 heures sur 24 heures, 10 jours suffisent pour atteindre le quota de 100 heures de froid. Ensuite, au moindre redoux, les bourgeons peuvent éclore, mais si on est encore tôt en saison et qu’un coup de gel survient… Les bourgeons de l’amandier sont sensibles aux températures inférieures à -3,3°C, les fleurs à -2/-3°C, et les jeunes fruits à -1,1°C… (source) Attention aux floraisons trop précoces et aux gelées tardives !
Conséquences du dérèglement climatique ?
Comme le montre cette vidéo mise en ligne fin janvier 2023, les scientifiques sont très inquiets : et si le réchauffement climatique, après avoir été plutôt bénéfique pour les arbres, provoquait de graves dérèglements en empêchant la levée de dormance par manque de froid ?
Des observations en montagne
Dans les Alpes, la température a augmenté deux fois plus vite que dans l’hémisphère nord au cours du XXe siècle. Voici les résultats publiés en 2018 de huit années de relevés de températures et observations de cinq espèces d’arbres (bouleau Betula pendula, frêne Fraxinus excelsior, noisetier Corylus avellana, sapin Picea abies et mélèze Larix decidua) réunis avec le programme de science participative Phenoclim.
- Pour des températures printanières similaires (après la levée de la dormance), des hivers plus chauds provoquent un retard de débourrement et floraison le long du gradient d’altitude (+0,9 à +5,6 jours par degré), à l’exception de la floraison du noisetier et du débourrement du sapin.
- Pour des températures hivernales froides similaires, le réchauffement printanier avance le moment du débourrement et de la floraison le long du gradient d’altitude (−5,3 à −8,4 jours par degré).
L’effet retardateur observé lié au réchauffement hivernal pourrait être bénéfique pour les arbres en réduisant le risque d’exposition au gel printanier tardif à court terme. Mais une moins bonne levée de la dormance pourrait aussi altérer le développement des bourgeons et la floraison.
A prendre en compte aussi : La douceur hivernale peut éveiller les pollinisateurs. Faute de fleurs à butiner, ils peuvent s’épuiser à voler sans trouver de source de nourriture ! Inversement, si les végétaux nécessitant la visite des abeilles et papillons fleurissent en décalage avec l’éveil des insectes, ils seront mal pollinisés, donc la fructification sera moindre…