Mise à jour : 22 décembre 2022
Les paysages résultent de l’interaction d’un très grand nombre de facteurs : de l’histoire de la région, du climat, des peuplements, des sols… Nous allons nous intéresser ici aux sols, si importants pour la végétation, donc pour notre alimentation. Et pourtant si fragiles… Commençons par découvrir ce qu’est un sol.
Qu’est-ce qu’un sol ?
Pour définir de façon simple ce qu’est un sol, on peut dire que c’est là où, dans la nature, les végétaux (associés à leurs champignons mycorhiziens) développent leurs racines.
Les horizons des sols
Si on veut développer, on dira qu’un sol est constitué de plusieurs couches superposées dont l’aspect, l’épaisseur et la composition sont variables. Le terme « savant » pour désigner ces couches est : horizon.
- En surface on a les feuilles mortes en train de se décomposer, c’est la litière.
- En se décomposant, elles forment une couche noire : l’humus.
- Puis vient un horizon constitué d’un mélange d’humus et de fragments de roches, c’est la terre végétale. A l’état naturel, elle abrite des micro-organismes, des vers de terre, des champignons… Son aspect est sombre et compact. Elle est riche en nutriments. En jardinerie, on la confond parfois avec le terreau, un assemblage de matières organiques constitué de matières décomposées mélangées avec de la tourbe, de l’argile ou de l’engrais.
- Plus on va en profondeur, plus l’horizon contient de débris minéraux issus de la roche-mère sous-jacente.
Ainsi un sol est-il le produit de l’altération, du remaniement et de l’organisation des couches supérieures de la croûte terrestre sous l’action de la vie (végétaux, microbes, vers de terre…), de l’atmosphère et des échanges d’énergie qui s’y manifestent. Le tout pouvant être perturbé par les activités humaines : récolte, labour, emploi d’engrais chimiques ou de pesticides…
Les sols, des milieux en constante évolution
Les sols constituent un milieu complexe et dynamique évoluant sous l’influence des facteurs externes (eau, air, biodiversité). Ses propriétés s’acquièrent progressivement sous l’action combinée de ces facteurs :
La roche-mère s’altère sous l’influence du climat et d’organismes pionniers, en particulier des lichens et des mousses.
De la matière organique est issue des lichens, mousses et, progressivement, d’autres végétaux, champignons etc. Cette matière organique se mélange au sol. Des minéraux de la roche s’altèrent. La matière organique se dégrade lentement, d’abord en humus, finalement en substances de plus en plus simples.
Enfin, des éléments minéraux et organiques peuvent être déplacés par l’eau de pluie infiltrée et différencier ainsi le sol en une succession d’horizons variés.
Le sol ainsi défini atteint un degré de développent variant selon la manière dont il a été soumis à l’action des facteurs pédogénétiques et la durée pendant lequel il l’a été. On peut ainsi aussi définir les sols comme des structure à 4 dimensions (espace / temps) dans laquelle persistent et transitent :
- les résultats et les produits de l’altération de la couche minérale superficielle du globe,
- les matières organiques issues de la biomasse associée à la couche superficielle
- les éléments provenant de l’atmosphère.
A l’échelle humaine, les sols se forment très lentement : il faut souvent compter des milliers d’années. Mais leur destruction est très rapide ! Mais avant de parler de l’ampleur de leur dégradation, rappelons leur importance.
L’importance des sols
Certes, il existe des plantes épiphytes. De nombreuses orchidées par exemple.
Certes, tomates et concombres peuvent être cultivés hors sol sous serre.
Mais imaginez-vous exister sans sol une forêt, une prairie, des champs de blé ou de lentille, un verger ? On connaît depuis fort longtemps l’importance du sol pour la végétation. Ainsi peut-on lire dans un ouvrage du dix-neuvième siècle :
« Les sols dans lesquels se développe la végétation agissent suivant leur composition, la grosseur de leurs parties et leur arrangement d’où résultent autant de propriétés physiques différentes. Ces propriétés sont relatives à la densité, l’hygroscopicité, la cohésion, les pouvoirs absorbant, rayonnant et émissif pour la chaleur, etc. Leur état physique doit être tel que les racines y trouvent des points d’appui contre la violence des vents, et qu’elles puissent écarter leurs parties, s’étendre, prendre en toute saison l’eau et les éléments dont elles ont besoin pour leur nutrition : il faut pour cela que les terres ne soient ni trop sèches ni trop consistantes.
Becquerel, 1853. Des climats et de l’influence qu’exercent les sols boisés et non boisés. Firmin Didot frères, 567 pages.
Malheureusement, bien des sols sont altérés. Je parle dans un autre article de la fonte du permafrost et des « forêts ivres », les arbres n’y trouvent point d’appui contre la violence des vents pour paraphraser Becquerel cité ci-dessus. J’ai évoqué dans l’article sur l’actuelle crise de la biodiversité de la pollution des sols, rendant toxiques de bons champignons . Les plastiques font partie des polluants pouvant être présents dans tous les milieux. Je vais ici développer les problèmes d’érosion des sols. Pensons aussi aux problèmes de sécheresse dont je parle dans l’article sur l’eau douce.
L’érosion des sols
L’érosion, perte de la couche superficielle du sol, est un phénomène naturel qui dépend de la nature et de la structure du sol, de la pente, du couvert végétal, des conditions atmosphériques et des pratiques culturales. La superficie totale des terres affectées par l’érosion est considérable.
Ampleur de l’érosion des sols
En 1985, on pouvait lire dans un compendium de l’OCDE que l’érosion touchait presque 3/4 des terres en Turquie, plus de la moitié des terres aux États-Unis, environ un tiers en Grèce ou en nouvelle Zélande…
2015 fut l’année internationale des sols. Un important rapport (650 pages !) fut alors publié sur les sols dans le monde. Des experts y font le point sur l’importance du sol et sur les problèmes de pollution, salinisation, compaction, érosion etc des sols dans les différentes régions de notre planète. Voici ce qu’on peut y lire (p. 108) à propos de l’érosion :
On sait depuis longtemps que l’érosion des sols est un problème majeur menaçant la durabilité de l’agriculture. On peut estimer l’ampleur du problème. Il existe désormais des méthodes pour réduire l’érosion et, au cours des dernières décennies, des efforts importants ont été déployés pour réduire les taux d’érosion. Ces efforts ont partiellement réussi. Cependant, les taux d’érosion sont encore élevés sur une grande partie des terres agricoles du globe, cela provient du manque d’incitations économiques pour les agriculteurs d’aujourd’hui à conserver les ressources du sol pour l’avenir. Il est essentiel d’intégrer ces solutions dans les politiques et les programmes qui soutiennent le développement de systèmes agricoles plus durables
traduit d’un rapport sur les sols datant de 2015.
On y trouve que les taux moyens mondiaux d’érosion se situent entre 12 et 15 tonnes par hectare et par an, ce qui correspond à presque 1 cm par an. Les sols « partent » donc plus vite qu’ils ne se forment. L’érosion constitue par conséquent une menace mondiale à long terme pour les sols. Ce rapport précise que l’ampleur de l’érosion varie selon que c’est l’eau (érosion hydrique) ou le vent (érosion éolienne) qui entraîne le sol.
Ainsi les taux dus à l’érosion hydrique restent très élevés (> environ 20 tonnes par hectare et par an) sur les terres cultivées dans de nombreuses régions agricoles. Toute zone cultivée avec des terres vallonnées et des précipitations suffisantes est à risque. On a je pense tous pu voir que l’eau de ruissellement issue d’une pluie est beaucoup plus terreuse dans des zones en pente, où la terre est à nue, et quand la pluie a été assez forte.
On ne dispose pas d’estimation globale fiable concernant l’érosion éolienne. Cette forme d’érosion irait de 8 % en Afrique du Nord à environ 75 % en Australie.
Les conséquences de l’érosion
Nul besoin d’avoir fait de longues études pour deviner que l’érosion des sols va avoir deux conséquences :
- quand de la terre part, le sol s’amincit, il devient moins fertile. Et s’il part trop, les possibilités de cultures vont diminuer.
- là où la terre partie arrive, par exemple dans les plaines inondables des rivières et les deltas des fleuves, cela va au contraire améliorer la fertilité des sols. Mais… si la terre est retenue dans un barrage, celui-ci va moins bien fonctionner. Si trop d’engrais parviennent dans des lacs ou la mer, cela provoque des phénomènes d’eutrophisation, algues vertes etc. Quand à l’érosion éolienne, elle est source de particules dans l’air : des aérosols.
Le rapport mentionné donne des valeurs très inquiétantes. Si la valeur médiane de 0,3 % de perte de récolte annuelle est valable pour la période de 2015 à 2050, une réduction totale de 10,25 % pourrait être projetée jusqu’en 2050. Cela équivaudrait à la suppression de 150 millions d’hectares de champs, soit 4,5 millions d’hectares par an. Traduction : 45.000 km2 par an : un peu plus que la superficie de la Suisse, largement plus que la Belgique.
L’artificialisation des sols
L’érosion génère une perte progressive des sols. Beaucoup plus radicale est l’artificialisation des sols. L’artificialisation est définie dans l’article 192 de la loi Climat et résilience (2021) comme « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage. » Tandis que la consommation d’espaces est « la création ou l’extension effective d’espaces urbanisés sur le territoire concerné » : la conversion d’espaces naturels, agricoles ou forestiers en espaces urbanisés.
Exemples franciliens
Adolescente, j’habitais une commune du Nord de la Seine et Marne. On y voyait des panneaux « anti Mickey ». On a en effet construit Disneyland Paris, avec ses infrastructures de loisirs, ses hôtels, ses commerces, ses routes et parking, sur des terres agricoles. Au total, l’équivalent d’un cinquième de la surface de Paris artificialisé.
Toujours en région parisienne mais aujourd’hui, des menaces pèsent sur les terres agricoles du triangle de Gonesse ou du plateau de Saclay. On a évité l’installation aux portes de Paris de pistes de ski en intérieur du projet Europacity, mais les écologistes restent mobilisés pour éviter que d’excellentes terres agricoles soient couvertes de béton.
Un exemple auvergnat
A diverses échelles, on peut trouver un peu partout des mobilisations pour préserver des zones agricoles ou des milieux naturels. Ainsi en Haute-Loire, il s’agit notamment de sauvegarder le bois de Bramard contre l’implantation d’une future zone industrielle. Dans un article paru en octobre 2022, on précise qu’on a déjà commencé à abattre des arbres… On détruit ainsi une zone humide, pourtant essentielle pour limiter le réchauffement climatique.
« La forêt de Bramard est précieuse, car non seulement elle héberge une très grande biodiversité, mais aussi des zones humides et des sources d’eau. Cette forêt nous protège des inondations par l’effet éponge de ses zones humides, soutient le débit des rivières l’été et procure de l’eau naturellement filtrée.
De plus, son sol, ses arbres et ses zones humides sont capables de stocker énormément de carbone, soit environ 80 tonnes/ha/an soit 1.000 tonnes pour 13 ha et par an. La sécheresse que nous connaissons cette année nous démontre qu’il est vital et urgent de préserver nos zones humides et nos forêts. Il est donc impératif de conserver et protéger nos puits de carbone dont le bois de Bramard est un bel exemple. »
Collectif du Bois de Bramard, dans un article du Progrès, octobre 2022.
De graves conséquences
Cet exemple illustre bien cette affirmation du ministère de l’écologie : « L’artificialisation des sols, conséquence directe de l’extension urbaine et de la construction de nouveaux habitats en périphérie des villes, est aujourd’hui l’une des causes premières du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité. »
On peut aussi lire qu’en France, on artificialise chaque année entre 20.000 et 30.000 hectares. 200 à 300 km2. C’est la surface de la Seine-Saint-Denis ou du Val de Marne qui est transformée chaque année, uniquement pour la France. A l’échelle de la planète…
La gravité a conduit le gouvernement à dédier un site à ce sujet… On y trouve les surfaces consommées par région, département, commune. Ainsi, en Haute-Loire, 1.373 ha ont été consommés entre 2011 et 2021, dans les 3/4 des cas à destination de l’habitat. Pour la même période, presque 10.000 ha en région Ile-de-France, dans presque la moitié des cas pour des activités économiques. Le site propose aussi fiches pédagogiques et des retours d’expériences innovantes qui illustrent les bonnes pratiques en matière de gestion économe de l’espace.
Restons conscients que l’artificialisation des sols, ce n’est pas que la bétonisation évoquée ci-dessus. Installer un potager ou des champs à la place de la forêt ou tout milieu naturel, c’est aussi une forme d’artificialisation. Il en est de même de sentiers très fréquentés en milieu naturel. Des chemins se créent, le sol s’érode, des déchets peuvent s’accumuler, les passants font plus ou moins de bruit. Cela impacte la biodiversité et le sol. Donc aussi le climat, puisque parmi les êtres vivants du sol figurent des algues. En captant le dioxyde de carbone, gaz à effet de serre, elles aident à limiter le dérèglement climatique. Mais si les sols sont bouleversés, ces algues ne peuvent plus piéger une partie du dioxyde de carbone, ce qui accélère le réchauffement de la planète.
Terminons en citant un article du wwf :
« Entre 1970 et 2014, l’effectif des populations de vertébrés sauvages a décliné de 60%. L’IPBES estime que 75% du milieu terrestre est sévèrement altéré et que près d’un million d’espèces sont menacées d’extinction. Le doublement des zones urbaines depuis 1992, la modification, par l’action humaine, des trois quarts de l’environnement terrestre et la surexploitation des ressources naturelles en sont les principales causes. Il est urgent de repenser nos modèles de développement à l’échelle des villes et des territoires. «
WWF (lu en novembre 2022).
stop ! Agissons !