mise à jour le 22 décembre 2022
Les lichens appartiennent au règne des Fungi comme les champignons, mais il s’agit ici d’êtres symbiotiques : association obligatoire à bénéfice réciproque entre un mycosymbiote (champignon) et un photosymbiote (algue, le plus souvent chlorophycée, ou cyanobactérie). Le champignon en représente plus de 90% de la biomasse. On le voit bien quand on observe les lichens au microscope, par exemple ci-dessous Ramalina, un lichen très sensible à la pollution par le dioxyde de soufre.
L’idée d’une nature double des lichens a d’abord semblé absurde. Le suisse Schwendener est le premier à proposer que les lichens sont de nature à la fois fongique et algale dans les années 1860. Le français Bornet (1828-1911) est le premier à en faire la démonstration. Il arrive en effet à obtenir les phases initiales d’un symbiose en faisant germer des ascospores de lichens en présence d’algues. Bonnier renouvelle la démonstration d’une nature double des lichens dans les années 1880.
Pour en apprendre davantage sur les lichens, ces organismes particuliers, je vous propose cette conférence donnée en 2023
Les lichens, des colonisateurs
La vie est apparue dans l’eau, au fond des océans. Comme l’explique Marc-André Selosse dans son livre Jamais seul paru en 2017 aux éditions Actes Sud, il y a 500 millions d’années, à une époque appelée le Cambrien, les continents étaient un quasi désert. Les roches étaient au mieux couvertes d’un biofilm formées d’un mélange de microbes : algues microscopiques photosynthétiques associées à des bactéries et des champignons.
On pense actuellement que l’ancêtre commun à tous les végétaux terrestres est une algue qui a pu sortir de l’eau grâce à des interactions avec des champignons de type glocéromycètes. On explique l’apparition tardive des végétaux sur les terres émergées par le temps nécessaire à la mise en place d’une symbiose algue – champignon. Quant à l’absence de racines des premiers fossiles, elle s’explique parce qu’ils reposent complètement sur leurs champignons pour exploiter le sol. Nulle surprise donc à observer de nombreux lichens sur les falaises et roches nues.
La classification scientifique des lichens
Le nom donné aux lichens est celui de leur champignon, leur mycosymbiote. Mais la symbiose avec le photosymbiote confère à l’ensemble des propriétés supplémentaires qui permet au lichen de coloniser des milieux où nul champignon ou algue isolé ne serait en capacité de vivre : murs, écorces… Autres propriétés nouvelles : la reviviscence (capacité de passer rapidement, réversiblement et répétitivement de l’état sec à l’état hydraté) et la résistance aux températures extrêmes. De plus, le thalle du lichen est pérenne, tandis qu’un champignon non lichénisé possède un mycélium diffus non pérenne ; de même ce qu’on appelle couramment « champignon », le carpophore, a une durée de vie très limitée. Celle des algues est également courte.
La résilience des lichens provient de particularités chimiques. En effet, le champignon du lichen va produire des substances spécifiques, protectrices, grâce aux précurseurs carbonés synthétisés par son partenaire algue. Pour en savoir plus sur la chimie des lichens, je vous conseille la présentation des métabolites secondaires lichéniques, article paru en 2015 dans le bulletin de l’association française de lichénologie (pdf).
La place dans la classification scientifique, dite phylogénétique, dépend de caractéristiques propres au champignon d’une part, à l’algue d’autre part. Par exemple, on différencie les champignons en fonction de l’organe producteur de spores.
des champignons ascomycètes
Chez les ascomycètes, la reproduction sexuée se fait par l’intermédiaire d’asques. Par exemple le lichen Candelariella vitellina forme de petites taches jaunes sur des murs, pierres… Si on l’observe au microscope, on voit des « sacs » de petits ronds. Le « sac » est l’asque, les petits ronds sont les spores (ascospores) qui permettront la dispersion du champignon du lichen.
On trouve parmi les ascomycètes des champignons « classiques » comme les morilles et les truffes. Dans ce grand ensemble, la classe des eurotiomycètes regroupe des champignons filamenteux de plusieurs familles. Dans la famille des Trichocomacées, on trouvera essentiellement des moisissures telles que Penicillium, dont on utilise certaines espèces pour produire le roquefort, le camembert ou la pénicilline. Une autre famille de cette classe, celle des Verrucariacées, comprend essentiellement des lichens, mais aussi des champignons qui vivent en commensal ou en parasite des lichens.
Bref, les lichens ne sont pas regroupés dans un seul ensemble de la classification, mais le mycosymbiote a sa place dans la classification parmi des champignons « classiques » et des moisissures d’une part, et le photosymbiote a sa place de son côté parmi les algues vertes ou les cyanobactéries. Dans plus de la moitié des lichens, le photosymbiote est une algue verte du genre Trebouxia.
Dernier détail. Si de nombreux lichens partagent la même espèce de photosymbiote, un même champignon peut aussi s’associer avec deux algues différentes. Bien sûr cela donne alors deux lichens différents, qui portent néanmoins le même nom, celui du champignon. On parle alors de phycotypes.
Pour en savoir plus, je vous conseille l’article de Jean-Pierre Gavériaux : Les lichens et l’évolution de la classification des êtres vivants paru en 2006 dans le Bulletin de l’association française de lichénologie (Vol. 31 – pdf).
Les lichens en pratique
Pour déterminer le nom du lichen qu’on voit, on ne va pas se préoccuper de savoir comment sont les organes reproducteurs ou les filaments du champignon, cela nécessite un microscope ! On regarde d’abord ce qu’on peut voir facilement, pour commencer la forme de leur thalle (appareil végétatif) : crustacé, foliacé… On regarde ensuite les organes qui permettent leur reproduction végétative (isidies, blastidies, soralies…) ou sexuée (apothécies). Enfin, on peut utiliser des produits chimiques qui donnent des réactions colorées caractéristiques de telle ou telle espèce. Voici quelques exemples, montrant aussi l’intérêt des ces organismes particuliers.
Physconia, un lichen foliacé
Le thalle des lichens foliacés forme des feuilles plus ou moins lobées. On peut les détacher de leur support auquel ils adhèrent par certains points. Par exemple le genre Physconia regroupe des lichens foliacés au thalle en rosette dans différentes nuances de gris où le photosymbiote appartient au genre Trebouxia. Quand il est sec, on peut remarquer une pruine blanche aux extrémités des lobes du thalle. Nous remarquons leurs organes reproducteurs, les apothécies. On les qualifie de lécanorines : la bordure contient des algues comme le thalle (donc a la même couleur).
ci-dessus Physconia distorta sur le tronc d’un tilleul. Ce lichen vit dans des sites peu pollué, il disparaît si la concentration en dioxyde de soufre est supérieure à 50 µg/m3 d’air.
Evernia, un lichen fruticuleux
Le thalle des lichens fruticuleux = arbusculeux forme des petits « arbustes » de « lanières ». Ils n’adhèrent au support que par leur base. Regardons par exemple le lichen Evernia prunastri, qui a poussé sur un prunier. Les deux faces des « lanières » n’ont pas la même couleur : la face supérieure est vert gris, la face inférieure gris blanc. Cela traduit l’organisation interne en couches du lichen (structure hétéromère). En partant de la face supérieure, on a :
- un cortex supérieur protecteur constitué de filaments de champignon serrés.
- une couche d’algues et champignons. Les deux organismes peuvent y faire des échanges. Les algues sont bien placées pour recevoir la lumière et produire des sucres par photosynthèse. On appelle hyphes les filaments de champignons.
- une médulla constituée d’hyphes (champignons), lâches, sans algues. La structure est hydrophobe et permet la circulation des gaz.
- un cortex inférieur
Evernia prunastri est le nom du champignon qui forme des filaments dans ce lichen. L’algue quant à elle appartient au genre Trebouxia. L’algue effectue la photosynthèse et fournit des molécules organiques au champignon qui, en retour, l’abrite et lui fournit eau et sels minéraux. Leur interaction leur fait gagner de nouvelles propriétés anatomiques : quand il rencontre l’algue, le champignon ressemble à une feuille ! C’est ce que représente le schéma ci-dessous.
Observons le lichen de plus près. On voit des « boules », les sorédies, un enchevêtrement d’hyphes fongiques et d’algues, sans cortex autour. Ces sorédies sont libérées quand le cortex qui délimite le lichen se déchire ; on appelle sorélie les trous dans le cortex où on voit de nombreuses sorédies. Les sorédies sont ensuite disséminées par le vent ou les insectes, permettant ainsi la multiplication végétative du lichen.
Cette espèce est économiquement importante : on l’utilise dans l’industrie des parfums pour fixer les molécules odorantes.
Rhizocarpon, un lichen crustacé
Le thalle des lichens crustacés forme une croûte incrustée au support. Si on les observe au microscope, on voit en partie supérieure des hyphes serrés formant une couche protectrice, le Cortex. Vient ensuite une couche contenant des algues, puis une zone d’hyphes qui vont dans le support, la médulla. Ils n’ont pas de surface inférieure qui leur serait propre, c’est le support qui constitue leur surface inférieure.
Généralement peu sensibles à la pollution, ils font partie des premières espèces capables de coloniser un site. Leur croissance régulière et très lente (entre 0,1 et 0,3 mm/an) permet d’estimer leur âge et, ainsi, déterminer le moment où une roche a commencé à être exposée. Avec une fiabilité toute relative car, si on dispose de courbes de croissance étalonnée pour plusieurs espèces, le croissance dépend néanmoins aussi des facteurs de l’environnement (humidité, exposition, température, nature du substrat, etc.) dont certains peuvent varier selon les années.
Rhizocarpon geographicum par exemple est aussi appelé « lichen carte géographique ». C’est une espèce jaune qui grandit d’un dixième de mm par an, permettant la datation des roches. Quand on voit la taille du lichen photographié ci-dessus, on peut supposer que le mur en pierre sèche est là depuis fort longtemps ! Les Rhizocarpon vivent en symbiose avec des Trebouxia.
Cladonia, un lichen à thalle complexe
Les lichens à thalle complexe sont constitués d’un thalle primaire plus ou moins appliqué sur le support, et d’un thalle secondaire dressé. Les lichens du genre Cladonia comportent un thalle primaire encroûtant ou formé d’éléments foliacés, appliqué sur le substrat. Ce thalle primaire peut disparaître ou persister et coexister avec le thalle secondaire. Ce thalle secondaire, partie généralement la plus visible du lichen, est formé de tiges se dressant à partir du thalle primaire auquel elles sont fixées soit de façon permanente, soit pendant une partie de leur développement : ces tiges sont nommées « podetium » (ou podétion). Ces structures creuses portent à leur extrémité les apothécies productrices de spores.
Les Cladonia sont des mycosymbiotes vivant en symbiose avec des algues vertes de la famille des chlorococcacées : les Trebouxia. D’un point de vue écologique, les Cladonia sont d’importantes espèces pionnières : la partie basale des podetia se lyse, des filaments mycéliens s’en échappent et s’incorporent peu à peu aux particules terreuses. Cela permet la formation d’un complexe lichen-sol, associé à des bactéries. D’autres végétaux pourront ensuite s’installer. (source).
Parmi les Cladonia, certaines espèces sont très résistantes au froid et peuvent ainsi coloniser des régions arctiques. C’est le cas de Cladonia rangiferina. On l’appelle aussi lichen des rennes. Cela dit, il serait trop amer pour faire partie des lichens appréciés par les rennes.
Squamarina, un lichen squamuleux
Squa quoi ? Squamarina et squamuleux viennent du mot squame, qui signifie écaille. Ces lichens forment comme des écailles.
Ce lichen possède un thalle facilement détachable de son support. Il est constitué de petits éléments pouvant évoquer des écailles : c’est un lichen squamuleux.
Il pousse dans une région calcaire telle que les gorges du Tarn. On peut donc affirmer qu’il est calcicole.
Pour se reproduire, on voit des apothécies. On ne voit ni sorélies ni isidies, des organes permettant la multiplication végétative. Ces apothécies semblent plutôt en relief par rapport aux squamule. Il faudrait vérifier si les spores sont incolores. Le bord des apothécies semble être de la même couleur que le thalle, et le centre plutôt marron rouge.
Les squames non foliacées sont peu lobées et d’une couleur claire. Il s’agit probablement d’un lichen du genre Squamarina.
On ne voit pas d’isidie, il n’y a pas de grande différence de couleur entre le bord et le centre des squames, autant de caractéristiques de l’espèce Squamarina cartilaginea.
Un lichen gélatineux
Voici pour finir la dernière catégorie de lichen : les lichens à thalle gélatineux.
Quand il est sec, ce type de lichen forme une sorte de croûte noire, souvent sur une roche calcaire. Une fois mouillé, il se gonfle plus ou moins et devient gélatineux. Sur le lichen photographié ci-dessous, on voit alors mieux les apothécies.
Le guide des lichen de Pascale Tiévant, éd. Delachaux et Niestlé, en indique 8 genres : Spilonema, Ephebe, Synalissa, Placynthus, Pannaria, Thyrea, Leptogium, Collema. Certains ont un thalle gélatineux crustacé, ou squamuleux, ou foliacé. La différenciation se fait surtout au microscope. Par exemple le thalle des espèces du genre Leptogium présente un cortex sur le dessus, tandis que les espèces du genre Collema sont dépourvues de cortex.
Les lichens dans les écosystèmes
Pour finir ces généralités, je désire rappeler que les lichens font partie d’écosystèmes. Ils sont en interaction avec leur biotope (milieu de vie) comme avec les autres êtres vivants de ces écosystèmes.
- Concernant le biotope. Certains lichens poussent sur des roches calcaires, d’autres sur roches siliceuses, d’autre sur la terre, les troncs d’arbre… Certains lichens poussent à l’abri de la pluie quand d’autres la recherchent. Le vent accélère la déshydratation du lichen, mais aussi contribue à la dissémination des spores et fragments de thalle… Inversement, les lichens agissent sur les roches. En effet, les substances lichéniques désagrègent la partie superficielle des roches, contribuant au début de formation des sols, utile pour la colonisation ultérieure d’autres êtres vivants.
- Concernant les autres êtres vivants. Les lichens font partie de la nourriture des rennes et caribous dans le grand Nord, mais aussi de certaines chenilles, escargots et limaces. Ils hébergent de petits animaux tels que des acariens. Enfin, certains oiseaux les utilisent pour camoufler ou isoler leur nid. Enfin, certains lichens sont en symbiose avec un troisième partenaire : des bactéries qui contribuent notamment à l’alimentation du lichen ou à la fabrication de certaines vitamines.
Ainsi, toute modification d’un élément de l’écosystème ou du climat peut avoir des répercussions en cascade sur les roches comme sur l’ensemble de la biodiversité d’un lieu.
Un site incontournable pour en savoir plus : celui de l’association française de lichénologie. Je vous conseille aussi vivement de regarder cette vidéo du spécialiste Marc-André Selosse sur la symbiose lichénique.