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Le monde des algues


Algues ? sans doute pensez-vous à ces drôles de végétaux qu’on peut voir quand on va à la plage, ces plantes aquatiques parfois envahissantes, comme j’en parle dans l’article sur azote et phosphore. Fin gourmet, peut-être appréciez-vous la saveur marine qu’elles peuvent apporter aux soupes et légumes, poissons ou tartinades. Je vous renvoie à un autre site si c’est la dimension culinaire qui vous intéresse. Ici, je vais m’intéresser à l’aspect scientifique, biologique, des algues. Pour commencer, le terme « algue » a-t-il un sens pour les biologistes ?

Les algues dans la classification du vivant

Dans l’atlas de biologie végétale sur l’organisation des plantes sans fleurs, paru en 1985 aux éditions Masson, on peut lire que les Cryptogames constituent un vaste ensemble comportant les algues, les champignons, les bryophytes (mousses et plantes voisines) et les ptéridophytes (fougères). Les algues, ou phycophytes, y sont définies comme des thallophytes chlorophylliens, c’est-à-dire des organismes ayant un thalle (comme les champignons et lichens), capables de photosynthèse.

Mais depuis, la classification du vivant a beaucoup changé. On ne parle plus de cryptogames. Et comme je le montre dans un autre article, les champignons sont davantage apparentés aux animaux qu’aux végétaux.

classification phylogénétique simplifiée

Quant aux algues… on ne devrait plus en parler. On ne peut pas leur trouver une ligne dans le schéma ci-dessus.

Les algues… on n’en parle plus !

Comment ça, on n’en parle plus ? mais c’est quoi alors, ce qu’on voit sur la plage ?

Retour sur la classification du monde vivant.

Démarrons au plus haut niveau de la classification. Pour la plupart des scientifiques, le monde vivant se répartit en 3 domaines.

2 domaines concernent des microbes procaryotes, c’est-à-dire dont le matériel génétique n’est pas délimité par un noyau : les eubactéries et les archées. Le troisième domaine est celui des eucaryotes. On voit un noyau quand on observe leurs cellules au microscope. Si les algues qu’on voit couramment appartiennent au domaine des eucaryotes, les « algues bleues » sont en réalité des eubactéries. Très importantes dans l’histoire du monde vivant, puisque ce sont des cyanobactéries qui ont laissé les premières traces de vie connues sur Terre (les stromatolites). Quant aux chloroplastes, ils ont été formés par absorption de cyanobactéries par des cellules eucaryotes hétérotrophes primitives. Il s’agit d’une très ancienne endosymbiose. (je l’évoque dans l’article sur le monde des végétaux).

place des cyanobactéries (algues bleues) dans la classification

Poursuivons avec les algues appartenant au domaine des eucaryotes. On y distingue plusieurs lignées. Je vais essayer d’être au plus près de la classification actuelle, avec les grands groupes, sans pour autant être exhaustive.

La lignée verte

La lignée verte contient deux groupes, les chlorobiontes et les rhodobiontes. Euh… lignée verte, c’est facile, c’est le monde « vert », donc les plantes.

Algues vertes

Mais ensuite… Chlorobiontes. Chloro comme chlorophylle, chloroplastes, c’est le groupe avec les végétaux d’un côté, et proches parents les algues vertes. On peut parler aussi de chlorophytes. Certaines sont grandes comme l’ulve, la laitue de mer (on peut aussi utiliser le terme d’ulvophytes pour désigner le groupe d’algues dont font partie les ulves). D’autres sont microscopiques, comme les Trebouxia qu’on peut observer dans de nombreux lichens.

Trebouxia

C’est aussi le cas des desmidiales.

Desmidiales
Staurastrum striatum, une desmidiale d'eau douce

Les desmidiales sont des algues microscopiques unicellulaires, présentant deux compartiments (les hémicellules) séparées par l’isthme. Le noyau se trouve dans l’isthme, les chloroplastes essentiellement dans les hémicellules. On les observe essentiellement dans les eaux douces plutôt acides. Par exemple, observant des « trucs verts » dans la fontaine d’un village du plateau casadéen, j’ai eu la curiosité de découvrir au microscope ce que c’était. J’ai ainsi pu voir Staurastrum striatum, représenté ci-dessus. D’autres espèces vivent dans des lacs proches de végétaux tels que trèfle d’eau, nénuphar, utriculaires… On peut aussi en voir dans les tourbières à sphaignes.

Il existe environ 6.000 espèces de desmidiales dans le monde, réparties en une quarantaine de genre. Pour les déterminer, on les regarde attentivement au microscope. On observe en particulier la paroi, qui peut présenter des granules et des ornementations qu’on regarde en éclairage oblique ou dans les cellules vides sans chloroplastes.

Parmi les genres qu’on peut observer en Auvergne, les Closterium (208 espèces dans le montre) se caractérisent par des cellules plus ou moins grandes et courbées avec, proches de chaque apex, une vacuole contenant des cristaux de baryum en mouvement. Il s’agit d’une substance un peu radioactive : ce genre aurait la capacité de stockerr la radioactivité dans les terrains ? Rôle pas clair. Quant au genre Staurastrum, la plupart des 706 espèces présente des « branches » appelées processus, parfois comme des épines, parfois grandes parfois petites, pouvant être lisses ou ornementées

Algues rouges

Rhodobiontes… comme les rhododendrons, ces buissons aux fleurs de couleurs vives ? Effectivement, la couleur des rhodobiontes est plus ou moins rouge. Car ces organismes contiennent, en plus de la chlorophylle, d’autres pigments qui rendent leur chloroplastes rouges (on peut parler de rhodoplastes). Ces organismes sont donc rouges. On peut dès lors parler d’algues rouges ou rhodophytes. Exemple : Chondrus crispus, une algue rouge récoltée pour la production de carraghénanes (gélifiant largement utilisé par l’industrie agro-alimentaire). D’autres algues rouges sont à l’origine d’un autre gélifiant, l’agar-agar. Le plus souvent, les algues rouges sont visibles à l’œil nu et vivent en milieu marin.

place des algues vertes et rouges dans la classification

Les autres algues appartiennent à d’autres groupes, dont la classification ne cesse d’évoluer. C’est pourquoi les informations varient selon les sources… Concernant les algues, je choisis le site de référence AlgaeBase, une base de donnée internationale concernant les algues, ainsi que les plantes à fleurs présentes dans les herbiers marins. Y sont référencées, au 21 décembre 2022 :

  • 5.379 espèces procaryotes (dont 5.309 cyanobactéries)
  • 52.995 espèces eucaryotes, dont…
  • 28.731 chromistes,
  • 20.695 espèces appartenant à la lignée verte (en particulier 7.694 chlorophytes = ulvophytes = algues vertes, et 7.580 rhodophytes = algues rouges)
  • 2.180 protozoaires,
  • 1.068 acritarches (un groupe d’organismes planctoniques actuels ou fossiles que les scientifiques ne savent pas trop où classer).

chromistes

Les chromistes forment un groupe où, à côté des algues brunes, on trouve les oomycètes (qu’on pensait autrefois être des champignons) et les foraminifères (des organismes qui, observés au microscope, peuvent faire penser à de minuscules coquillages). Mais parmi les 28.731 espèces de chromistes recensées sur AlgaeBase , les deux tiers (18.152) appartiennent au groupe des Bacillariophytes. Bacillariophytes : comme bacilles (des bactéries en bâtonnet) et phytes (phyto… le monde des plantes). Autrement dit des algues microscopiques. Ces organismes sont plus connus sous le nom de diatomées. Leur rôle écologique est important, j’en parle dans l’article sur l’eau douce. En effet, l’indice biologique diatomées permet de caractériser la qualité de l’eau.

Puis 4.550 espèces font partie des ochrophytes… les plantes ocres ? C’est dans ce groupe qu’on trouve les algues brunes ou Phaeophycées (2.143 espèces) mais aussi 1.207 espèces de chrysophycées, des algues brunes unicellulaires.

Poursuivons avec les 4.172 espèces du groupe Harosa = SAR. Il s’agit surtout de dinoflagellés (3.788 espèces)… Des dinosaures pourvus de flagelles ? Ils n’ont de commun avec les dinosaures que leur existence depuis des temps fort anciens, dès l’ère primaire. Ce sont des microorganismes des eaux douces ou salées possédant, pour la plupart, 2 flagelles. La moitié des dinoflagellés sont hétérotrophes : Ils se nourrissent d’autres organismes planctoniques. Ce ne sont donc pas de algues. Et d’autres sont photosynthétiques, on peut donc considérer que ce sont des algues microscopiques.

Enfin, notons les 1.418 espèces de coccolithophores, d’autres algues planctoniques. L’une des espèces, Phaeocystis pouchetii, est connue pour la « mousse » laissée par la marée lors des efflorescences algales observées sur le littoral de la Manche et de la mer du Nord.

les algues dans la classification du vivant

Euglènes

AlgaeBase a recensé sous le terme protiste des organismes unicellulaires. On y trouve notamment 1.747 espèces d’euglènes. Ce sont des êtres vivants microscopiques étonnants. Comme les animaux les euglènes possèdent la faculté de se déplacer (avec leur long flagelle). Mais comme les végétaux elles ont des chloroplastes leur permettant de produire leur matière organique par photosynthèse. Au vu de leurs particularités, les euglènes constituent un groupe bien spécifique.

Des japonais se sont particulièrement intéressé à la culture des euglènes. En 2005, la société Euglena réalise la première culture de masse et en extérieur d’Euglena gracilis. On peut voir sur le site d’Euglena que cette algue peut être utilisée dans des gammes santé, nutrition, cosmétique, mais aussi pour produire des biocarburants. Leur idée est la suivante.

Le carburant qui peut être acheté dans les stations-service est le plus souvent fabriqué à partir de pétrole. Le dioxyde de carbone émis lors de la combustion est basé sur le carbone stocké depuis des millénaires, et le dioxyde de carbone dans l’atmosphère augmente unilatéralement. Effet de serre, dérèglement du climat.

D’autre part, les biocarburants sont produits à partir de ressources biologiques, colza par exemple. Ces ressources absorbent à l’avance le dioxyde de carbone dans l’atmosphère par photosynthèse. Par conséquent, le dioxyde de carbone émis lors de la combustion du biocarburant est simplement restitué à partir de ce qui était auparavant prélevé dans l’atmosphère.

Mais peut-on envisager de consacrer des surfaces agricoles pour cultiver du colza, non pour l’alimentation, mais pour produire du carburant ? Cette société nippone produit du carburant à partir d’huile de friture usagée (au moins 90%) et d’euglène (au plus 10%), avec comme objectif le développement technologique de la culture d’huile et de graisse d’euglène en tant que matière première qui n’entre pas en concurrence avec les aliments.

Les milieux de vie des algues

Ainsi, nous pouvons constater que derrière le terme « algues » se cache une grande diversité d’êtres vivants, eucaryotes ou eubactéries, unicellulaires ou pluricellulaires, vivant fixés ou mobiles. Seul point commun : ces organismes sont capables de produire de la matière organique par photosynthèse. Donc de capter du dioxyde de carbone et produire du dioxygène. Pour le climat, c’est une particularité importante.

Et quant à leur milieu de vie, peut-on garder l’idée que ce sont des organismes aquatiques ?

Si beaucoup d’espèces vivent libres, autonomes dans des milieux aquatiques, certaines espèces vivent en symbiose et peuvent ainsi coloniser des milieux terrestres. Ce sont les photosymbiotes des lichens. On le voit bien quand on observe au microscope du lichen en coupe. Par exemple ci-dessous Ramalina, un lichen dont je parle dans l’article sur Les lichens, indicateurs de pollution

Observation de Ramalina au microscope

Et… saviez-vous que les algues sont également importantes pour les sols ? Le chercheur français Vincent Jassey a publié début 2022 les résultats de ses recherches : Climat : l’importante contribution des algues du sol au cycle du carbone.

On y découvre ainsi que cinq millions d’algues microscopiques habitent en moyenne chaque gramme de sol ! Leurs calculs montrent que ces algues captent environ 3,6 gigatonnes de carbone par an, soit un tiers des émissions de CO2 émis par l’homme ! Cela prouve que la photosynthèse microbienne n’est pas seulement une composante majeure des écosystèmes aquatiques, mais aussi de la plupart des écosystèmes terrestres.

Au final, bien difficile de définir ce qu’est « une algue » au vu de la diversité des organismes et de leurs milieux de vie !


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