Le dévonien est la période de l’ère primaire où sont apparus les premiers vertébrés terrestres et les premiers végétaux vasculaires, ayant des vaisseaux conducteurs de sève. Cette période prend fin avec la disparition de nombreuses espèces entre 383 à -359 millions d’années. C’est la crise du dévonien supérieur.
Quelques caractéristiques de la crise du dévonien supérieur
La crise du dévonien supérieur est multiple. Elle s’est produite en trois temps sur une durée de 20 millions d’années :
- un premier temps il y a environ – 383 millions d’années,
- puis une deuxième extinction il y a environ – 372 millions d’années,
- et enfin une troisième extinction il y a environ – 359 millions d’années.
Cet ensemble d’extinctions aboutit à la disparition de 19 % des familles, 35 à 50 % des genres d’animaux marins. 75 % des espèces animales disparaissent il y a entre -380 et -360 millions d’années environ. Parmi les animaux disparus, les ostracodermes.
Avant de parler des causes de cette crise du dévonien supérieur, présentons la biodiversité présente sur Terre à cette époque. Le livre The complete guide to Prehistoric Life de Tim Haines, publié en 2006 aux éditions Firefly book (disponible sur archive.org) apporte d’intéressantes informations sur les animaux préhistoriques emblématiques.
Les premiers vertébrés
Les vertébrés qui apparaissent au début de l’ère primaire sont des organismes aquatiques. L’un des plus vieux « poisson » connu est Myllokummingia fengjiaoa. Les fossiles ont été retrouvés en Chine dans des sédiments datant du début du cambrien (524 millions d’années). Il possédait un crâne et un squelette cartilagineux. Il n’avait pas d’os ni, comme l’actuelle myxine, de mâchoire. Les plus anciens vertébrés possédant des os datent de l’Ordovicien. Les premiers « poissons » utilisaient des branchies pour respirer et se nourrir.
Les ostracodermes, des poissons bien protégés mais sans mâchoire
Au Silurien, les ostracodermes, dominent. On regroupe sous ce nom plusieurs groupes de « poissons » agnathes (sans mâchoire). Leur tête est protégée par un bouclier céphalique et le corps recouvert d’une armure de plaques osseuses. On a retrouvé leurs fossiles dans des sédiments datant de l’ordovicien et du dévonien en Amérique du Nord, Europe, Sibérie. Ils mesuraient rarement plus de trente centimètres. Ils utilisaient leurs branchies exclusivement pour respirer. Les ostracodermes avaient des poches branchiales pharyngiales séparées sur le côté de la tête. Ces poches étaient ouvertes en permanence sans opercule de protection. Ils utilisaient leurs poches branchiales musculaires pour créer une force de succion leur permettant d’engloutir leurs proies qui étaient aussi des animaux lents et de petites tailles.
cephalaspis, un ostracoderme des estuaires
Par exemple Cephalaspis était de la taille d’une truite, il vivait principalement dans les estuaires de l’époque. On en connaît des fossiles depuis fort longtemps. Ainsi, Robert H. Denison en parle dans son article Early Devonian Fishes from Utah, publié en 1952 (disponible sur archive.org). On y voit des fossiles photographiés et les dessins des boucliers céphaliques de plusieurs espèces.
Des études récentes montrent qu’il nageait sans doute bien et pouvait s’adapter à des environnements aquatiques variés. Il est probable qu’il remontait les rivières, peut-être pour y pondre comme les saumons actuels.
Il possédait des plaques sensorielles le long du bord et du centre de son bouclier crânien. Ces plaques étaient utilisées pour détecter la présence de vers et d’autres organismes fouisseurs dans la boue, des récepteurs pouvant détecter les plus petites vibrations dans l’eau… notamment créées par l’arrivée de leurs prédateurs. Parce que sa bouche était située directement sous sa tête, Cephalaspis était considéré comme un détritivore, tel un poisson-chat fortement « blindé ». On pense que la tête de Cephalaspis lui servait à soulever les débris sédimentaires du fond des cours d’eau en fouissant le sol, le sable et la poussière dans l’eau. Rappelons qu’il devait se nourrir en ayant une bouche dépourvue de mâchoires, il était donc incapable de mordre.
Des chercheurs britanniques ont imaginé des simulations informatiques pour créer un avatar de notre « ancêtre » vieux d’environ 400 millions d’années. Leur étude suggère que cet animal aquatique avait commencé à diversifier la forme de son corps et de sa tête pour s’adapter à différents environnements. Les études récentes montrent que ces espèces étaient bien plus adaptables qu’on ne le pensait avant. En effet, certains « poissons » vivaient au fond de l’eau et d’autres dans l’eau libre. Les simulations informatiques montrent que les « épines » qui ornent leur carapaces étaient des adaptations hydrodynamiques. Cet article paru en 2020 vous permettra d’en savoir davantage.
Les placodermes, des poissons cuirassés
Au Dévonien vont dominer les « poissons » possédant des mâchoires (les gnathostomes), en particulier les placodermes. Ces « poissons cuirassés » possédaient des mâchoires se terminant par des excroissances osseuses. On peut en voir un impressionnant moulage à la galerie de paléontologie du muséum d’histoire naturelle à Paris.
Une plaque supérieure « superognathale » venait s’appuyer sur l’os de la mâchoire inférieure, « l’inferognathal ». Cela formait comme une paire de ciseaux puissants, capable de broyer les poissons coriaces comme les ostracodermes… Surtout quand on sait que certains placodermes pouvaient mesurer plus de 8 m de long alors que les ostracodermes étaient de petits animaux.
Depuis une cinquantaine d’années, on accumule les indices prouvant que ces poissons très archaïques, apparus 100 millions d’années après les premiers vertébrés, s’accouplaient et avaient une fécondation interne.
Pour commencer, en 1967, un paléontologue découvre des différences morphologiques majeures entre le mâle et la femelle d’une espèce de placodermes. Ses observations suggèrent la présence d’appareils génitaux adaptés à une fécondation interne.
Des embryons fossiles
La formation australienne Gogo est un récif de corail fossile où on a trouvé 45 espèces de poissons de la fin du Dévonien (385 à 375 millions d’années).
John Long, un paléontologue australien a identifié en 2008 des embryons au sein de spécimens de trois espèces de placodermes de Gogo. Il en est certain, car les minuscules plaques issues de la même espèce trouvées dans les cavités abdominales de ses spécimens ne sont ni mélangées avec des os d’autres espèces, ni ne portent de traces de morsures ou d’attaques par les sucs gastriques, ce qui serait le cas si elles provenaient du contenu stomacal. Ainsi, la fécondation des placodermes était interne, on se demande s’ils étaient vivipares. En effet, on sait qu’il y a eu fécondation interne, et que le développement embryonnaire s’est prolongé jusqu’à un stade avancé dans le ventre de la mère. Ce sont les plus anciens embryons connus.
Je vous conseille cette vidéo. John Long nous y explique sa préparation des « cailloux ». Il les a fait baigner plusieurs mois dans de l’acide. Cela lui a permis de découvrir un placoderme contenant un embryon. Il a même pu voir le cordon ombilical fossilisé !
L’accouplement des placodermes
Depuis, les scientifiques réexaminent leurs fossiles pour trouver la trace d’attributs sexuels
caractéristiques d’une fécondation interne. En l’occurrence, chez les placodermes, un double pénis en forme de T inversé situé juste sous les nageoires postérieures (ou pelviennes). On peut lire dans un article de 2014 comment le placoderme Microbrachius dicki, procédait à son accouplement. Les carapaces articulées rendent a priori impossible la position du missionnaire (que l’on retrouve chez la raie ou le requin actuels). La pénétration se fait côte à côte, de profil, les deux partenaires s’inclinant pour permettre la pénétration du pénis horizontal dans l’orifice de la femelle. Les nageoires pectorales, sortes d’appendices ossifiés évoquant des pattes de crabes, leur servaient probablement à rester accrochés ensemble pendant l’acte sexuel.
Le plus vieux cœur
Un article paru dans Science en 2022 relate une autre découverte paléontologique. En effet, en étudiant les fossiles de Gogo, les chercheurs ont pu déterminer que les placodermes possédaient un cœur semblable à celui des requins.
De plus les organes de divers placodermes du Dévonien, préservés en trois dimensions montrent des changements dans les formes et positionnement du cœur, du foie à 2 lobes et des intestins associés à l’évolution des mâchoires et du cou. De plus, les fossiles montrent que les poumons sont absents, réfutant l’hypothèse selon laquelle les poumons sont ancestraux chez les vertébrés à mâchoires.
Les premiers tétrapodes
Au Dévonien supérieur apparaissent, au sein des sarcoptérygiens (des poissons osseux à nageoires charnues comme l’actuel coelacanthe), les premiers tétrapodes qui sont encore aquatiques. La période du Cambrien au Dévonien (de – 542 à – 359 Ma) constitue donc une période cruciale de l’évolution des vertébrés avec la mise en place des structures fondamentales de leur anatomie (le crâne, les vertèbres, le squelette ossifié, les membres, …).
Disparition des ostracodermes et des placodermes
Lors de la crise du dévonien supérieur, disparaissent ostracodermes il y a 372 Ma, et placodermes il y a 359 millions d’années. Les vertébrés aquatiques du Carbonifère sont très différents de ceux du Dévonien. Les chondrichthyens (poissons cartilagineux) et actinoptérygiens (poissons osseux) dominent. Les « poissons » actuels font toujours essentiellement partie de ces deux groupes.
Cherchons à comprendre pourquoi ostracodermes et placodermes, pourtant bien armés, ont ainsi disparu de la surface de notre planète.
Développement de la végétation terrestre pendant le dévonien
Le passage des végétaux à la vie terrestre a nécessité pour les végétaux d’acquérir :
- une couche protectrice externe pour éviter dessèchement et coups de soleil,
- un système interne de conduction de la sève,
- un « squelette » leur permettant le port dressé,
- enfin une protection des cellules de dispersion (spores).
Cela a pris du temps. On sait aussi que, dès le début du dévonien, les végétaux pouvaient être en relation mycorhizienne avec des champignons. (article).
Les premières plantes terrestres
Les premières plantes terrestres, de minuscules Bryophytes de moins de 1 cm de haut, dépourvues de racines et de tiges, sont apparues pendant l’ordovicien.
La plus ancienne plante contenant des cellules conductrices de sève apparaît un peu plus tard, durant le Silurien, vers – 435 millions d’années. Il s’agit de Cooksonia.
Pendant le Dévonien, entre – 416 et – 359 millions d’années, on assiste à une accélération majeure dans l’évolution de la vie végétale pour conquérir avec efficacité le milieu terrestre :
- premières racines et feuilles,
- graines primitives,
- premiers arbres et premières forêts.
On trouve des fossiles de plantes de cette époque sur l’ensemble de la planète. Cela prouve que la Terre s’est alors couverte de végétation.
A la fin du dévonien, les forêts à Archaeopteris étaient dominantes dans le paysage. Archaeopteris était une sorte d’arbre-fougère se reproduisant par spores comme les fougères. Il pouvait vivre 40 à 50 ans. Avec son port arborescent, il pouvait atteindre 30 m de haut. Il possédait un tronc de plus de 1 m 50 de diamètre d’où partaient des branches comme sur les arbres actuels. Il formait du bois dense semblable à celui des conifères actuels. Enfin, il avait de puissantes racines.
Pour avoir une vue d’ensemble sur l’apparition des arbres, je vous conseille cet article paru en 2021.
Des forêts fossiles
Les fossiles de plantes de cette époque sont rares. Formidable découverte, une forêt fossile entière a été trouvée en 2009 dans une carrière de grès à Cairo dans l’état de New-York.
On ne connaît que trois autres forêts fossiles datant du Dévonien :
- à Gilboa dans l’état de New-York (restes de troncs d’Eospermatopteris datés d’environ 380 millions d’années),
- dans l’archipel norvégien des Svalbard (forêt tropicale fossilisée, vieille de 380 millions d’années, actuellement près du cercle polaire, à l’époque près de l’équateur.)
- dans une mine à côté du village de Jianchuan dans le Xinhang (est de la Chine) (la plus grande : superficie de 250.000 m2, datant de 360 millions d’années. On y trouve
une seule espèce : Guangdedendron micrum, dont la taille variait entre 1 et 7 mètres.
Située près de la ligne de l’équateur de l’époque, la forêt ressemblait à un immense
champ de cannes à sucre ; elle a poussé dans un milieu côtier, les racines ont pu
jouer un rôle de stabilisation du littoral comme les mangroves actuelles.
La forêt fossile de Cairo
Des chercheurs américains et britanniques ont étudié la forêt fossile de Cairo et ont publié leurs résultats fin 2019. Ils ont pu la dater : environ 386 millions d’années, la plus ancienne forêt connue, sans doute une des premières apparues sur la Terre. Cet article montre bien l’analyse des sols préhistoriques et des systèmes racinaires des arbres de cette ancienne forêt.
Voici à quoi elle ressemblait : Des arbres d’une trentaine de mètres de hauteur semblables à des conifères. Leurs branches tombantes confèrent un aspect un peu hirsute. Près d’eux, des plantes hautes de 6-8 m ressemblant à des fougères arborescentes, à la base évasée. Sans doute aussi une troisième espèce de plante. A leur pied, des mille-pattes dévorant les végétaux en décomposition, ainsi que des araignées.
Où était Cairo au dévonien ?
A l’époque, une large partie de l’hémisphère sud est occupée par un vaste continent, le protoGondwana. Plus au nord, un autre continent, la Laurussia, englobe l’Eurasie et l’actuelle Amérique du Nord. Par l’effet de la tectonique des plaques, des chaînes de montagne s’y sont formées, dont les Appalaches et, à proximité, la petite chaîne des Catskills, où se trouve Cairo.
Un milieu humide idéal pour Archaeopteris
Au pied des montagnes, des sédiments issus de leur formation se sont accumulés. Recouverts par des eaux peu profondes, ils constituaient à Cairo un système semblable au delta d’un fleuve, un milieu idéal pour les plantes de l’époque.
Le système reproducteur d’Archaeopteris est constitué de spores, qui produisent un gamétophyte contenant des gamètes mâles et femelles. Ils ne peuvent se rejoindre, lors de la fécondation, que par l’intermédiaire d’une fine couche d’eau. D’où le développement de ces végétaux en milieu humide.
Eospermatopteris
Outre Archaeopteris, la forêt de Cairo comptait une grande quantité d’Eospermatopteris, dont le « plumeau » arboré au sommet de la plante est un entrelacs de ramifications de sa tige principale. Ce n’est pas vraiment un arbre comme Archeopteris.
On connaît Eospermatopteris depuis 1870 et la découverte du site de Gilboa. En 2004 et 2005 ont été découverts un tronc de 8 mètres et la partie supérieure de ce végétal à environ 13 km de Gilboa, ces restes (aplatis par le temps) ont environ 375 millions d’années. (article complet présentant cet arbre)
Archaeopteris
Les chercheurs ont étudié ces deux plantes. Archaeopteris avec son allure d’arbre et ses feuilles peut exposer au soleil une grande surface et ainsi réaliser efficacement la photosynthèse. Après avoir dégagé le sol préhistoriques, les chercheurs ont utilisé un drone pour le photographier du ciel. Ils ont ainsi pu observer des empreintes de racines horizontales d’Archaeopteris dépassant 10 m de long. Archaeopteris possède aussi des racines plus petites qui se développent en profondeur. Les racines sont ramifiées, elles sont donc efficaces pour extraire du sol les substances nutritives. Les végétaux brisent les sols et y sécrètent des acides organiques, accélérant ainsi l’altération des roches silicatées (granite, basalte…).
Les racines d’Eospermatopteris ne comportent pas de ramifications.
Fossilisation de la forêt
Les chercheurs ont retrouvé sur le site des fossiles de poissons, et ont procédé à l’analyse chimique du sol. Ils en concluent que tous les arbres ont été engloutis au même moment par les flots et des sédiments, peut-être suite à la crue d’une rivière combinée à de fortes pluies. Cela serait à l’origine de la fossilisation de la forêt.
Ils pensent que la forêt d’origine s’étendait le long de la chaîne des Appalaches, du Canada à l’État de New York et à la Pennsylvanie d’aujourd’hui. D’autres occupaient la surface du globe, mais il est difficile de dire quelle était l’importance de cette couverture végétale.
Eospermatopteris et Archaeopteris disparaissent à la fin du dévonien.
Les animaux de la forêt de Cairo
Il y a 385 millions d’années, la faune terrestre était encore peu diversifiée par rapport à celle des océans. À Cairo, on pouvait trouver, dans l’humus, des arachnides – acariens, araignées, etc. – et des myriapodes, autrement dit des mille-pattes, dont la plupart ne dépassaient guère 5 cm de long. Quant aux cours d’eau et lacs des alentours, ils sont habités par des crustacés et d’étranges « poissons » comme les sarcoptérygiens, munis de nageoires charnues qui ressemblent à des pattes primitives. (Seules quelques traces de tétrapodes sont connues à l’époque de Cairo, ils habitaient les côtes et non les forêts.) Dans les airs, rien avant le carbonifère, et son climat chaud et humide à l’équateur. On voit alors jaillir, par exemple, des libellules de 70 cm d’envergure.
Le développement des forêts au dévonien fut important pour l’évolution des arthropodes et tétrapodes.
Le développement des forêts en cause dans la crise du dévonien supérieur
La « sortie des eaux » des végétaux puis la diversification des formes végétales aériennes a eu de nombreuses répercussions sur les sols, l’atmosphère, les océans. Elle a modifié les échanges de matières entre terres émergées et océans, la composition de l’atmosphère et par conséquent ses climats, ce qui, en retour, a affecté les êtres vivants. L’expansion des végétaux a aussi nécessairement eu des répercussions sur l’évolution des organismes qui s’en nourrissent ou s’y abritent.
Enfin, même si cette transformation de la surface terrestre a pris des dizaines de millions d’années, elle nous rappelle néanmoins que les modifications anthropiques du couvert végétal peuvent avoir de nombreuses répercussions, difficilement prévisibles, sur le long terme, d’autant plus qu’elles s’effectuent avec une ampleur et à une vitesse jamais vues auparavant.
Anoxie des océans
il y a environ 372 Ma et 359 Ma
Anoxie des océans : il n’y a plus de dioxygène dans les océans. Pourquoi ?
à l’origine, des végétaux
Archaeopteris produisait de nombreux rameaux caducs qui formaient sur le sol une importante litière, entraînant une accumulation de matière organique, des modifications du pH, de l’humidité locale, etc. Le développement et l’expansion des plantes a non seulement accru la formation de sols épais, mais aussi les phénomènes d’altération des roches.
Lors d’épisodes érosifs, ces sols et leurs éléments organiques (débris végétaux, bactéries, champignons, etc.) vont atteindre les bassins ou dépressions de plateforme continentale et créer des environnements eutrophiques stimulant la prolifération d’algues toxiques. Quand les bactéries les décomposent, elles consomment le dioxygène dissous. Ceci conduit à la formation de zones anoxiques quasi dépourvues de vie et à la sédimentation d’argiles noires riches en matière organique.
Des dépôts d’argiles noires
Ces argiles noires déposées en environnement anoxique se retrouvent au niveau des trois pics d’extinction du Dévonien.
- Des mesures réalisées sur des sédiments marins qui se sont déposés au milieu de l’océan Paléotéthys il y a environ 372 millions d’années prouvent que les milieux marins de la Terre entière ont alors été touchés par l’événement anoxique de Kellwasser. Les chercheurs se sont aussi intéressé aux fossiles de l’époque, aux roches formées à ce moment là… Grâce aux données récoltées, l’événement de Kellwasser a été retracé dans ses moindres détails, il a affecté des zones éloignées des grandes masses continentales, les chercheurs ont montré que l’anoxie a touché l’ensemble de l’océan. Pour mieux connaître cet événement, je vous conseille ce site.
- Puis il y a -359 Ma, il y a eu l’événement anoxique de Hangenberg, touchant lui aussi toute la planète.
Euxinisme : beaucoup de sulfure d’hydrogène
Des chercheurs ont été plus loin pour comprendre cet événement anoxique. Voici ce qu’on peut lire dans un article publié en 2022. Les chercheurs ont analysé les isotopes du soufre et les différentes formes de fer. Cela leur a permis de mesurer l’état d’oxydo-réduction de l’océan de cette époque.
Dans les mers fermées ou confinées, les eaux profondes ne se renouvellent pas, le dioxygène disparaît, du sulfure d’hydrogène apparait. C’est ce que les scientifique nomment euxinisme. Cela impacte les pyrites, des roches riches en fer. Globalement, l’océan était pauvre en dépourvu de dioxygène, pauvre en nutriments et riches en fer. Donc rien pour respirer, pas grand chose pour se nourrir : cela explique la disparition d’une grande partie de la faune marine.
Actuellement, du fait de la pollution par les excès d’engrais et de lisiers notamment, il y a aussi des zones océaniques touchées par l’eutrophisation, donc par des phénomènes d’anoxie empêchant la vie de tout être vivant aquatique qui a besoin de respirer…
Un refroidissement de la planète
il y a environ 359 Ma
Du fait de la présence plus abondante de végétaux, davantage de dioxyde de carbone a été prélevé dans l’atmosphère, par photosynthèse d’une part, par altération des roches d’autres part : silicates + CO2 + H2O → cations + bicarbonate + SiO2. La sédimentation des carbonates et la construction de récifs coralliens carbonatés piègent aussi le carbone du CO2. La baisse des teneurs en CO2 de l’atmosphère va conduire à un refroidissement du climat. (La quantité de CO2 dans l’air a pu être estimée à 5 000 ppm il y a 500 millions d’années ; à la fin du dévonien, il y a environ 380 millions d’années, elle n’est plus que de 1 000 ppm (400 ppm aujourd’hui)).
Les chercheurs ont étudié les pollens déposés à la fin du dévonien. Chaque type de pollen correspond à un type de plante qui pousse dans un type de climat, glaciaire par exemple… La présence sur le super-continent du Proto-Gondwana de sédiments déposés en milieu glaciaire prouve l’existence d’une phase brève mais intense de glaciation il y a environ 359 Ma. Cet événement, peut-être généré par la baisse des teneurs en CO2 de l’atmosphère, concourt également à une baisse de la biodiversité.
Les autres pics d’extinction du Dévonien ne paraissent pas corrélés à des phases de glaciation.
Autres causes de la crise du dévonien supérieur
Des mouvements tectoniques & des éruptions volcaniques (372 Ma)
Des mouvements tectoniques de grande ampleur sont soupçonnés de faire partie des causes de la crise de la fin du Dévonien. Le protogondwana constituait à l’époque un mégacontinent qui englobait l’actuelle Amérique du Sud, l’Afrique, l’Inde, l’Antarctique et l’Australie. Ce continent a migré vers le nord, entrant en collision avec un autre mégacontinent, Laurussia, composé de l’Amérique du Nord, du Groenland et de l’Europe, ce qui aurait profondément perturbé la circulation océanique, diminuant le brassage des océans et entraînant de forts changements climatiques.
En 2018 (article), des chercheurs ont montré la présence de très fortes teneurs en mercure, plusieurs centaines de fois supérieures aux valeurs habituelles, dans des sédiments datés d’un peu plus de 372 millions d’années, dans trois régions du monde : au Maroc, en Allemagne et en Sibérie ; ces fortes teneurs en mercure peuvent être le signe d’une importante activité volcanique. Il semblerait en particulier que les traps de Viluy-Iakoutsk en Sibérie orientale soient liés à cette extinction. En effet, cette éruption a déversé un million de kilomètres cubes de lave au cœur de l’actuelle Sibérie (épaisseur de 3700 m de lave sur 350 000 km2) et aurait libéré des gaz à effet de serre (donc réchauffement) et du dioxyde de soufre provoquant de plus des pluies acides (et acidification des océans, dont perte de biodiversité).
Des météorites ?
En Suède, le cratère de Siljan d’un diamètre de 52 km est l’un des plus grands cratères d’impact encore visibles aujourd’hui et il s’est formé il y a environ 377 millions d’années.
Au Maroc, dans le désert de l’Anti-Atlas, on n’a pas trouvé de cratère circulaire bien défini, la dérive des continents l’ont effacé, mais une analyse magnétique des roches du Jebel Mech Irdane datant d’il y a 380 millions d’années montre des quantités importantes de « quartz choqués » et de microsphérules (cristaux d’origine métamorphique générés par l’impact d’une météorite), des concentrations très élevées de nickel, de chrome, d’arsenic, de cobalt et de vanadium suggérant une origine extraterrestre et enfin une forte baisse de la proportion d’un isotope du carbone, le C13, indiquant une perturbation de l’activité biologique, probablement attribuable à la chute de la météorite.
Selon les chercheurs, ces événements sont trop brefs et localisés pour être à l’origine d’un phénomène d’une ampleur telle que les extinctions de la fin du dévonien.
Un trou dans la couche d’ozone
il y a 359 Ma
On trouve à la limite Dévonien-Carbonifère des roches sédimentaires contenant des centaines de milliers de générations de spores végétales fossilisées qui semblent avoir été brûlées par les UV du Soleil. On peut les voir dans cet article. Elles sont la preuve d’un événement d’appauvrissement de la couche d’ozone de longue durée.
Comment expliquer ce « trou » dans la couche d’ozone ?
L’atmosphère terrestre contenait à un moment, pendant le dévonien, près de 4.000 parties par million de CO2. Cela correspond à environ dix fois la concentration actuelle. Par effet de serre, il faisait chaud.
On observe chaque année un trou dans la couche d’ozone au dessus de l’Antarctique. On en a aussi observé en 2011 et 2020 au dessus de l’Arctique. Or on sait que ces « trous » sont pour partie dû aux polluants produits par l’homme contenant du chlore et du brome, mais aussi au climat.
La couche d’ozone se trouve à environ 15-30 km de la Terre, dans une zone de l’atmosphère appelée stratosphère. La couche de l’atmosphère où nous sommes s’appelle quant à elle troposphère. Quand la troposphère se réchauffe, la stratosphère se refroidit et le froid participe aux conditions de destruction de l’ozone. Or la couche d’ozone est indispensable à la vie sur les continents. En effet, elle absorbe une partie des UV qui, sinon, pourraient être absorbés par l’ADN, provoquant des mutations à l’origine, par exemple, de cancers, malformations…
En 2020, un chercheur britannique a montré l’impact d’un trou dans la couche d’ozone. Ainsi, il y a 360 millions d’années, un trou dans la couche d’ozone a permis des taux élevés d’UV. Cela a tué une grande partie des plantes terrestres (probablement environ 50%) ainsi que des animaux terrestres comme les tétrapodes. Les analyses ont porté tant sur les zones qui étaient à l’époque près de l’équateur que des zones polaires de l’époque. Elles ont montré qu’il faisait très chaud. La chaleur au-dessus des continents a généré des courants atmosphériques entraînant des substances chimiques vers la stratosphère. Ces molécules ont détruit une partie de l’ozone. En conséquence, l’augmentation des UV a provoqué la mortalité élevée des êtres vivants.
« Les estimations actuelles suggèrent que nous devrions atteindre des températures similaires à celles d’il y a 360 millions d’années, avec la possibilité qu’un effondrement similaire de la couche d’ozone puisse se reproduire, nous exposant à des radiations mortelles. »
John Marshall (article paru en 2020)
Si son équipe a vu juste, l’urgence climatique que nous vivons aujourd’hui deviendrait encore plus sérieuse !
Refroidissement ou réchauffement
il y a 359 millions d’années ?
Les deux dernières informations semblent contradictoires… quand on se place à l’échelle du million d’années.
Les scientifiques peuvent étudier à une échelle de temps plus courte l’évolution de la température « récente ». Pour cela, ils analysent les poussées des glaces, notamment polaires. Ils ont ainsi pu montrer des variations naturelles de température de l’ordre de 5 à 8 °C en 100.000 ans. Donc possible qu’il y ait eu un refroidissement il y a 359 millions d’années et un réchauffement 100.000 ou 200.000 ans avant ou après…
Possible explosion d’une supernova
En 2020, des chercheurs américains proposent l’hypothèse suivante (article). A l’époque, une ou plusieurs supernova (étoile massive arrivée en fin de vie) auraient pu exploser, à environ 65 années lumière de la Terre. L’explosion de l’étoile aurait immédiatement exposé la Terre à des UV, des rayons X et des rayons gamma. Plus tard, l’explosion de débris dans le Système solaire aurait soumis la planète à une seconde irradiation. Cette fois-ci de longue durée, causée par les rayons cosmiques accélérés par la supernova. Les dommages provoqués à la Terre et à sa couche d’ozone ont ainsi pu durer jusqu’à 100.000 ans.
Il existe un moyen de tester cette hypothèse. Il faudrait retrouver des traces d’isotopes radioactifs bien particuliers dans les sédiments de la fin du Dévonien. En effet des isotopes comme le plutonium-244 et samarium-146 ne peuvent être synthétisés que lors de l’explosion d’une supernova. Les recherches doivent donc être poursuivies pour confirmer ou invalider l’hypothèse du rôle d’une supernova.